Nullement intimidé par les films que Jean Renoir et Luis Buñuel en ont déjà tirés, Benoît Jacquot offre à son tour sa vision du célèbre roman d'Octave Mirbeau. Il en a fait un écrin pour Léa Seydoux.

Benoît Jacquot attendait évidemment la question. Qu'on lui a déjà posée cent fois depuis le lancement de son film à la Berlinale. Pourquoi refaire aujourd'hui Journal d'une femme de chambre alors que deux maîtres du cinéma, Jean Renoir et Luis Buñuel, s'y sont déjà attaqués?

«Parce que j'ai lu le livre d'Octave Mirbeau, duquel les films ont été tirés, a-t-il répondu lors d'une interview accordée à La Presse plus tôt la semaine dernière. Je connaissais évidemment très bien les adaptations qu'en ont faites Renoir et Buñuel, mais je n'avais jamais lu le livre. Je ne l'aurais d'ailleurs probablement jamais fait sans l'insistance d'une amie qui, me connaissant, était certaine que j'y trouverais des choses inspirantes.

«Il est vrai, poursuit-il, que j'ai complètement oublié les deux films à la lecture du bouquin. C'était comme si je me retrouvais devant un texte nouveau, dans lequel je trouvais des résonances personnelles et contemporaines. C'est dire qu'il s'agit d'un bel instrument de base. Je me suis d'ailleurs dit que Renoir et Buñuel étaient sans doute dans le même état que moi en le lisant. Et y ont trouvé matière à en faire un film personnel. Si Madame Bovary a eu droit à plusieurs adaptations cinématographiques, dont certaines sont excellentes, pourquoi en serait-il autrement du Journal d'une femme de chambre

De fortes résonances

Deux choses ont particulièrement convaincu Benoît Jacquot de se lancer dans ce projet. L'idée de suivre à la trace un personnage féminin, dans toute sa complexité, était bien sûr séduisante aux yeux d'un cinéaste reconnu pour faire la part belle aux femmes dans ses films. Célestine, la femme de chambre qu'interprète Léa Seydoux, est de tous les plans du long métrage, du premier au dernier.

«Octave Mirbeau ne lâche pas son personnage d'une seule ligne dans son livre, de la même manière que j'aime ne pas lâcher le mien d'un plan, explique-t-il. On voit tout de Célestine. Y compris ce qu'elle ne peut ou ne veut pas voir elle-même.»

Aussi, et surtout, le contexte historique dans lequel le roman a été écrit (il a été publié en 1900) résonne de façon très forte dans l'époque que nous vivons présentement. Dans l'esprit de Benoît Jacquot, les drames historiques n'ont de pertinence que s'ils peuvent s'inscrire de façon concrète dans le monde contemporain.

Ainsi, le parcours de cette jeune femme de chambre venue de Paris, maintenant au service d'une grande maison bourgeoise de province, fait écho à des écueils bien actuels selon le cinéaste.

«Aujourd'hui en Europe, dit-il, nous entendons de nouveau des discours où l'on prône l'ostracisme, la ségrégation sexuelle et la discrimination. Or, tout cela a pris racine au tout début du XXe siècle. C'est à ce moment-là que ce genre d'idéologie s'est constituée en programme politique militant. On croyait ce mouvement étouffé après la Seconde Guerre mondiale, mais voilà qu'il resurgit comme la bête immonde qu'évoquait Bertolt Brecht. Il me semblait opportun d'utiliser le détour de l'histoire pour éveiller des échos dans une actualité qui est la nôtre.»

Une muse nommée Léa

Benoît Jacquot et Léa Seydoux avaient déjà eu l'occasion de travailler ensemble il y a quelques années pour Les adieux à la reine. Il s'agissait sans doute de l'un des premiers grands rôles «adultes» de la comédienne, à travers lequel elle avait en outre l'occasion d'exploiter une autre facette de son talent.

«Après Les adieux à la reine, nous nous étions promis de travailler de nouveau ensemble dès que l'occasion se présenterait, fait remarquer Benoît Jacquot. Or, j'ai proposé Journal d'une femme de chambre à Léa au moment où elle tournait La vie d'Adèle avec Abdellatif Kechiche. Ce film lui a été très profitable, mais il est de notoriété publique qu'elle a très mal vécu cette expérience. Au point où elle remettait alors en question la façon même d'exercer le métier. Elle en était troublée psychologiquement. On s'est dit que ce n'était pas le bon moment.»

Le cinéaste s'est alors tourné vers Marion Cotillard. La production a même été mise en marche avec l'idée de l'interprète de La môme (La vie en rose) dans le rôle principal.

«Sans rien enlever à Marion, qui est une actrice d'exception, je ne pouvais pas me débarrasser de Léa dans mon esprit. Quand Marion m'a demandé de repousser le tournage de quelques mois à cause d'un conflit d'horaires, ce qui était impossible, je n'ai pas pu résister à la tentation de relancer Léa de nouveau. Et là, elle allait mieux. Elle avait le sentiment que Célestine était le personnage parfait pour remettre le pied à l'étrier.»

L'ennui, c'est que l'actrice, prise depuis plusieurs semaines par le tournage de Spectre, le nouveau James Bond, ne peut pratiquement pas assurer la promotion du film. Deux jours avant la présentation en primeur mondiale du Journal d'une femme de chambre à la Berlinale, un accident sur le plateau du film de Sam Mendes a fait en sorte que le plan de travail a dû être changé. Résultat: l'actrice ne pouvait être à Berlin aux côtés du cinéaste.

«Comme le film est entièrement construit autour du personnage que Léa incarne, disons que ça a causé une déception, reconnaît Benoît Jacquot. Et une frustration aussi. Cela dit, le cinéma est fait de ces imprévus. Il est certain que si j'avais été placé dans la même situation, j'aurais moi aussi aimé que les producteurs utilisent une clause contractuelle pour retenir une actrice et limiter les dégâts. Cela n'a rien à voir avec l'ampleur d'une production, finalement. La projection s'est relativement bien déroulée sans elle, l'accueil critique a été favorable, mais il est certain que l'effet de présentation n'a pas été le même.»

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Journal d'une femme de chambre est à l'affiche.

Les frais de voyage ont été payés par K Films Amérique.