David Cronenberg voulait depuis longtemps porter à l'écran le conte hollywoodien perfide et cynique écrit par Bruce Wagner. Il n'a maintenant plus aucun autre projet de film. Pour l'instant du moins...

Pour lancer une conversation tenue avec lui la semaine dernière, nous avons rappelé à David Cronenberg une anecdote tirée de la toute première projection de son film au Festival de Cannes. Quand l'un des personnages de Maps to the Stars est violemment assassiné à grands coups de trophée Génie (ancien prix de l'excellence au cinéma canadien), quelqu'un dans la salle n'a pu s'empêcher de lancer: «Cronenberg est de retour!» Vrai qu'après deux films plus flottants, A Dangerous Method et Cosmopolis, David Cronenberg retrouve la forme grâce à cette histoire de Bruce Wagner.

«Je n'ai pourtant jamais eu l'impression d'être parti ailleurs!, réplique-t-il. Je comprends que certaines personnes, celles qui ont seulement aimé mes films d'horreur du début, très violents ou grotesques, puissent avoir ce genre de réaction. Ils ont une véritable affection pour des films qu'ils ont vus alors qu'ils étaient probablement jeunes. Mais je ne vois pas les choses comme ça. Je me reconnais autant dans chaque film que je propose. Parce qu'ils viennent de moi. Comme je ne veux pas m'ennuyer moi-même - et encore moins les autres - , j'aime explorer des styles différents. Tout cela est très subjectif!»

N'empêche que Maps to the Stars a quand même une tonalité plus «cronenbergienne». Dans la mesure où l'approche est un peu plus trash que celle empruntée dans les deux films précédents.

L'esprit d'une époque

Le personnage pivot de ce film est une actrice, formidablement interprétée par Julianne Moore, qui tente désespérément de s'accrocher à son statut de star malgré les années qui passent. Gravitent autour de cette dernière une assistante recrue (Mia Wasikowska) à peine débarquée dans la ville du rêve; un émule de Justin Bieber (Evan Bird) arrogant et détestable dès que s'éteint la caméra; le père de ce dernier, coach et psychiatre (John Cusack); un chauffeur de limousine (Robert Pattinson); sans oublier ce fantôme qui vient hanter les esprits de quelques personnages. Tous ces gens sont désespérés d'exister d'une façon ou d'une autre. Ils en développent même une véritable obsession.

Au-delà du culte de la célébrité, auquel chaque individu semble vouloir aspirer, le récit révèle aussi l'état d'esprit d'une époque où les codes éthiques et moraux tombent un à un. On ne laisse désormais la place qu'à la loi du plus fort, du plus populaire, du plus trivial. Ponctuellement, des vers d'un poème de Paul Éluard se font entendre.

«Ça en révèle beaucoup sur notre époque mais l'ironie de l'affaire, c'est que Bruce Wagner a écrit la première mouture de son scénario il y a 20 ans!, fait remarquer le cinéaste. Je travaille sur ce film depuis une dizaine d'années et nous l'avons toujours mis à jour pour être bien en phase avec notre temps. Mais l'esprit est toujours resté le même.»

Même si l'intrigue de Maps to the Stars est campée dans le milieu hollywoodien, et que le cinéaste prend un plaisir manifeste à faire tomber les colonnes du temple, David Cronenberg estime que le décor n'est finalement qu'accessoire.

«La première impression des critiques français a été de penser que je voulais attaquer Hollywood depuis de nombreuses années, explique celui qui a présidé le jury du Festival de Cannes en 1999. Rien n'est plus faux. La plupart de mes films sont produits ailleurs. J'ai flirté un peu avec le système mais je ne suis pas un cinéaste hollywoodien. De tous mes films, History of Violence est probablement celui qui ressemble le plus à une production issue d'un studio.

«Cela dit, poursuit-il, j'ai quand même assez d'expérience pour savoir que le scénario de Bruce est plutôt exact. Il ne s'agit pas vraiment d'une satire. Rien n'est inventé. Cela dit, mon intérêt principal était d'avoir l'occasion de porter à l'écran une histoire fantastique, qui comporte de brillants dialogues et des personnages incroyables. En dépit du fait que l'intrigue se déroule à Hollywood, à l'intérieur même de l'industrie du cinéma, j'y voyais quelque chose de très universel. Le récit aurait tout aussi bien pu être campé à Silicon Valley ou à Wall Street. Tous ces milieux sont menés par la peur et l'appât du gain.»

N'écrivant jamais pour des acteurs spécifiques («je ne veux pas être coincé», dit-il), Cronenberg est naturellement allé vers des interprètes attirés vers des histoires plus particulières.

«Dans un film comme celui-là, tu ne peux pas choisir un acteur inquiet ou qui a peur, explique le cinéaste. Tu ne veux pas d'un comédien intimidé par le rôle. J'en ai rencontré quelques-uns qui l'étaient. Et puis, tu tombes sur une actrice comme Julianne Moore et ça n'est même pas un sujet de discussion. Elle dit que c'est fantastique, que Bruce a écrit un scénario remarquable, et qu'elle se meurt de jouer ça!»

Des romans plutôt que des films

Après avoir publié il y a quelques semaines son premier roman, intitulé Consumed, David Cronenberg consacre de nouveau ses énergies à l'écriture d'un nouveau bouquin.

«J'ai déjà réalisé tous les films que je voulais vraiment faire. A Dangerous Method m'a pris 10 ans; Maps to the Stars aussi. Je n'ai plus de projet de film en réserve. Mon agent m'envoie des scénarios à lire mais rien ne m'allume. Je préfère me concentrer sur l'écriture de mon roman pour l'instant.»

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Maps to the Stars (La carte des étoiles en version française) prend l'affiche vendredi.