Nous sommes en 1999 à Saint-Nicolas, en banlieue de Québec. C'est ici qu'un Roland tout ce qu'il y a de plus ordinaire, père de trois grandes filles et mari d'une Lisette qui lui est dévouée, se meurt d'un cancer. Un de ses gendres, bédéiste, observe et dessine les derniers moments de sa vie. Voilà en résumé le récit de Paul à Québec, paru en 2009 et qui s'avéra un des plus grands succès de la bédé québécoise avec des ventes de plus de 100 000 exemplaires.

Au moment de la sortie de ce sixième album des aventures de Paul, son auteur, Michel Rabagliati, s'est mis à rêver en couleurs et à voir Paul, son alter ego, investir le grand écran. Il avait le nom d'un réalisateur en tête: François Bouvier, qu'il ne connaissait pas, mais dont il avait vu Histoires d'hiver, adaptation d'un livre illustré de Marc Robitaille, et un de ses films québécois préférés. Pourquoi ne pas l'appeler? lui a suggéré une amie. D'un coup que ça l'intéresserait?

Faits pour s'entendre

Ainsi débuta la saga du film Paul à Québec, quelque part à l'automne 2009. «On s'est rencontrés, raconte Bouvier. Michel me vouvoyait, c'était drôle, mais très vite, on a compris qu'on avait la même sensibilité et plusieurs autres choses en commun, comme la même taille, le même scooter et le fait qu'on joue tous les deux à l'occasion de l'accordéon. Bref, on était faits pour s'entendre.»

Les deux nouveaux complices se sont immédiatement mis à plancher sur l'adaptation pour le cinéma de Paul... a un travail d'été sans voir qu'ils ne misaient peut-être pas sur le bon cheval. Et puis, le téléphone a sonné. C'était Karine Vanasse. Elle venait de terminer la production de Polytechnique avec son associée Nathalie Brigitte Bustos, dite NBB. Les deux cherchaient un projet plus léger et plus rassembleur et se demandaient si les droits de Paul à Québec avaient été achetés.

«Je leur ai répondu qu'elles tombaient à la fois bien et mal, raconte Rabagliati. Bien parce que l'aventure du cinéma me tentait, mal parce que François et moi étions déjà en plein travail d'adaptation. Mais en fin de compte, plutôt bien puisque les droits de la bédé étaient libres et que nous nous cherchions un producteur.»

Bédé versus cinéma 

Ce premier contact mena à des rencontres, à des séances de remue-méninges, à la signature d'un contrat en bonne et due forme et à une évidence: c'était Paul à Québec qu'il fallait adapter pour le cinéma.

«Moi, j'étais tout à fait d'accord, raconte François Bouvier, sauf que le projet présentait plusieurs obstacles: d'abord, ça s'appelle Paul à Québec. Or, on n'est pas à Québec et Paul n'est pratiquement pas là. Ce qui marchait en bédé était complètement à repenser pour le cinéma. C'est ainsi que, lentement mais sûrement, tout en développant l'esprit de famille des Beaulieu et le personnage du beau-père malade, on a ramené Paul à l'avant-plan. On lui a trouvé une trajectoire en le faisant travailler dans une imprimerie et se passionner graduellement pour le dessin. On a créé une sorte de courbe dramatique entre une vie qui s'éteint et une vocation artistique qui naît.»

Pendant plusieurs mois, François Bouvier et Michel Rabagliati ont travaillé avec des fiches de carton sur lesquelles était écrite la description de chaque scène. Puis, le réalisateur a pris les 140 fiches et un billet d'avion pour le Mexique, disparaissant dans une villa pour deux mois afin d'écrire le scénario.

«Sur le coup, raconte Rabagliati, j'avais l'impression que François s'était poussé avec mon bébé. J'ai paniqué, mais dès que j'ai reçu la première version du scénario, j'ai été rassuré. J'ai senti François très respectueux de mon univers, ce qui ne l'a pas empêché de faire les changements nécessaires pour rendre cet univers cinématographique. La grande différence entre la bédé et le film, c'est qu'un film, ça avance comme un train, alors qu'en bédé, tu peux broder, te perdre dans des digressions. C'est pas pantoute la même affaire.»

Une famille soudée

Les deux voient aujourd'hui le film du même oeil: comme une chronique de la vie quotidienne faite de petits tableaux décrivant une famille québécoise soudée et solidaire face à la maladie et à la mort. La chronique d'une mort annoncée, en somme.

Les élans scatologiques de la bédé ont été tempérés, sinon carrément effacés. Le personnage de Rose, la petite fille, a pris une importance qu'il n'avait pas dans la bédé. 

Le rôle-titre de Paul a été confié à François Létourneau et celui du beau-père, à Gilbert Sicotte. Or pour rendre son cancer plus crédible et faire en sorte que le malade n'ait pas trop l'air en santé, Gilbert Sicotte a perdu 20 livres. Au début, alors que le cancer vient d'apparaître, il porte une prothèse grossissante dont le retrait au milieu du film marquera la progression de la maladie.

Il reste que la gestation ne fut pas de tout repos. Malgré le succès de la bédé, la notoriété de la productrice Karine Vanasse et la brochette d'acteurs chevronnés qui avaient accepté d'être de l'aventure, le projet de film a été refusé trois fois par le comité de sélection de la SODEC.

Feu vert

Normalement, le projet aurait dû mourir de sa belle mort, mais les productrices ont convaincu la SODEC de leur accorder une dérogation pour qu'elles puissent le soumettre une dernière fois.

Au quatrième tour, Paul à Québec a enfin obtenu le feu vert et un budget qui dépasse légèrement les 5 millions. Ce jour-là, François Bouvier s'est félicité d'avoir retravaillé le scénario pendant toutes ces années. Mais surtout d'avoir eu la présence d'esprit de se précipiter au Madrid à la fin de l'été 2011 pour prendre des dizaines de photos du légendaire resto avant sa démolition. 

C'est ainsi que dès les premières images du film, le Madrid renaîtra de ses cendres tout comme les Big Foot, nous rappelant que tout est possible au cinéma avec un peu de bonne volonté et beaucoup d'effets spéciaux.