Un an et deux mois après CannesIl y a un an et deux mois, Chloé Robichaud partait pour Cannes avec dans ses valises une invitation d'Un certain regard, section de la sélection officielle, pour y présenter Sarah préfère la course, son premier long métrage. Depuis, elle a écrit et réalisé la série web Féminin/féminin sur le quotidien d'une bande de jeunes lesbiennes montréalaises, qui connaît un beau succès chez nous comme en France. Elle planche à présent sur un deuxième long métrage qui porte le titre énigmatique de Pays et sur lequel elle laisse planer le plus grand mystère.

Les gens qui connaissent Chloé Robichaud disent d'elle qu'elle est une jeune femme mystérieuse. Ils ont bien raison. La cinéaste de 26 ans, qui vient de boucler la websérie Féminin/féminin et qui planche sur le scénario de Pays, son prochain long métrage, est un mystère ambulant.

Pas au sens où elle se la joue Greta Garbo avec les lunettes fumées, le grand chapeau et les airs évaporés. Non. Casquette vissée sur la tête, baskets aux pieds, dégaine garçonne, regard vert déterminé, Chloé Robichaud n'a rien de mystérieux. Reste qu'en entrevue, elle fait des mystères partout. Lui soutirer des infos ou des précisions relève du défi sportif, tendance aviron. Avec elle, on rame...

C'est la deuxième fois que je la rencontre en un peu plus d'un an. La première fois, c'était à la veille de son départ pour Cannes où son premier long métrage Sarah préfère la course faisait partie d'Un certain regard, le volet off de la sélection officielle, section où s'était aussi retrouvé, un an plus tôt, Laurence anyways de Xavier Dolan.

L'ambiguïté que j'avais perçue chez elle à ce moment-là ne s'est pas dissipée. Je ne parle pas d'ambiguïté sexuelle. Chloé Robichaud s'assume pleinement et très ouvertement comme jeune lesbienne moderne. Et si elle ne l'avait pas évoqué lors de notre première rencontre, c'était, me dit-elle, parce qu'elle tenait pour acquis que je connaissais son orientation sexuelle. En réalité je l'ignorais, mais ça, c'est une autre histoire.

Elle reconnaît qu'en entreprenant l'écriture de Féminin/féminin, une série de capsules web sur l'univers lesbien, sa démarche était simple et limpide: montrer que la vie amoureuse et le quotidien des lesbiennes ne sont pas très différents de ceux des hétéros. La série a été mise en ligne il y a quelques semaines sur le site lesbien LSTW. Elle est non seulement gratuite, mais accessible partout à travers le monde.

Cette diffusion élargie explique en partie son succès: plus de 300 000 visionnements, dont plus de 70 000 en France. La série de huit épisodes de dix minutes chacun, certains très drôles, d'autres touchants, a même fait l'objet d'un article dans Télérama sous le titre: «Féminin/féminin, la série lesbienne plus réaliste que The L Word», une allusion à la série culte américaine qui racontait le quotidien des lesbiennes glam vivant à Los Angeles. Des projets pour une suite sur le web et même à la télé sont dans l'air, mais rien n'est encore gravé dans le marbre.

Ce qui est étrange, c'est que Féminin/féminin est aussi direct et assumé que Sarah préfère la course était subtil, opaque et, à la limite, insaisissable. Si d'entrée de jeu on n'avait pas compris que Sarah, cette jeune marathonienne, préférait les filles, ce qui n'était pas évident, on passait complètement à côté du coeur du film.

J'ai demandé à Chloé Robichaud pourquoi elle avait donné si peu de clés au public pour qu'il saisisse la source du malaise de Sarah. Elle m'a répondu que c'est le personnage de Sarah, une fille intérieure qui est dans l'éveil d'un désir très caché, qui dictait cette retenue. «Si je faisais une suite à ce film, ce que je ne ferai pas, mais si c'était le cas, elle serait beaucoup plus assumée. Ce serait La vie d'Adèle, quoi.»

Chloé Robichaud ne fera pas Sarah préfère la course 2, mais elle termine la deuxième version de Pays, son prochain long métrage, mettant en vedette trois femmes du monde politique dans un pays fictif que l'une d'elles dirige. On sait déjà que Sophie Desmarais et Hélène Florent seront de l'aventure. Le projet et le sujet sont ambitieux, sauf que c'est à partir d'ici que le mystère s'épaissit et que Chloé Robichaud refuse de l'éclaircir sous prétexte de préserver l'effet-surprise auprès de son futur public.

Je lui répète que d'ici à ce que le film sorte sur les écrans, au moins deux, sinon trois ans se seront écoulés. Bien de l'eau et de l'encre auront coulé sous les ponts, effaçant malheureusement pour moi et heureusement pour elle les écrits publiés dans les journaux. Mais Chloé ne veut rien entendre.

«Tout ce que je peux dire, c'est que le film se déroule sur une île fictive, éloignée de notre quotidien et du Québec, île où trois femmes politiques vont se rencontrer au coeur d'une crise. Pour le reste, je préfère garder mes petits secrets et ne pas brûler mes punchs.»

Il y a deux semaines, la cinéaste a sauté dans une bagnole avec sa productrice Fanny-Laure Malo et sa directrice photo, pour faire un road trip de repérage. La productrice m'en avait parlé avec enthousiasme, me disant que Chloé me raconterait tout. Mais cette dernière est demeurée délibérément vague sur les lieux visités. «Quelque part dans l'Est canadien», m'a-t-elle offert du bout des lèvres.

J'ai insisté parce que les films politiques, à plus forte raison ceux écrits par de jeunes femmes, sont chez nous si rares, voire inexistants, que j'avais mille questions en tête. Quelle est sa vision de la politique? Une vision cynique, romantique, réaliste? Trouve-t-elle que si la politique était menée par les femmes, le monde irait mieux? A-t-elle vu Nathalie Normandeau à la commission Charbonneau? Si oui, l'a-t-elle crue?

Autant de questions qui sont restées sans réponse, sans que je comprenne exactement pourquoi.

Chloé Robichaud n'a pas suivi le témoignage de Nathalie Normandeau à la télé et à voir sa moue à ce sujet, j'en ai déduit que ça l'intéressait plus ou moins. Pourtant, ai-je rétorqué, les femmes, la politique et le pouvoir, c'est le coeur de ton sujet, non?

«Oui, a-t-elle répondu, mais si on prend l'exemple de Sarah préfère la course, j'ai écrit le scénario avant de rencontrer des coureuses. Pour Pays, c'est la même chose. Je n'ai pas rencontré des politiciennes en tant que telles, mais des gens qui gravitent dans la sphère politique, c'est tout ce dont j'ai besoin. Quant à la nature de mes personnages féminins, tout ce que je peux dire, c'est que je n'aime pas les êtres parfaits. Je n'y crois pas. Cela ne veut pas dire que mes personnages seront des tueuses, mais elles ne seront pas parfaites.»

Sarah préfère la course a obtenu des institutions un financement de 1,2 million, mais plusieurs salaires, dont celui de la réalisatrice, ont été réinvestis dans le film. Ce qui équivaut à ses yeux à un financement public de l'ordre non pas du million, mais de 800 000$.

Le film a connu une belle visibilité médiatique, notamment grâce à Cannes, mais n'a pas fracassé de records au Québec sur les 18 écrans où il a été projeté pendant environ 70 jours. Au total, le film a fait des recettes de 160 500$ et 19 167 entrées. Cela peut paraître un brin dérisoire, mais Chloé est fière du résultat.

«J'avais fixé la barre à 100 000$. Elle a été atteinte, ce qui est très respectable pour un premier film. Cela dit, le prochain, je pense qu'il va être accessible et qu'il va rejoindre beaucoup plus de monde, du moins je l'espère.»

Chloé Robichaud n'a jamais caché son ambition. Pour le reste, malgré ses secrets, ses cachotteries et sa peur de brûler des punchs, j'ai le sentiment qu'on n'a pas fini d'entendre parler d'elle ni de ses films. Et ça, ce n'est pas un mystère.

CINQ FILMS QUI ONT MARQUÉ CHLOÉ ROBICHAUD

The Hours 

Stephen Daldry

2002

L'histoire de trois femmes à trois époques, dont Virginia Woolf elle-même, interprétée par Nicole Kidman. Un film qui représente à ses yeux une réussite totale autant sur le plan de l'écriture que de la réalisation.

À bout de souffle

Jean-Luc Godard

1960

Le film qui lui a montré qu'on pouvait faire du cinéma autrement avec d'autres codes.

Emporte-moi

Léa Pool

1999

Pour la délicatesse et la subtilité avec lesquelles Léa Pool a travaillé le scénario, qu'elle a coécrit avec Nancy Huston et Isabelle Raynauld.

Le Parrain

Francis Ford Coppola

1972

Sa première leçon de cinéma et le premier chef-d'oeuvre cinématographique que son père, le publicitaire Marc Robichaud, lui a montré.

Ratcatcher

Lynne Ramsay

1999

Pour la direction photo incroyable et pour sa signature très forte et très moderne.