Le récit s'annonce romantique, avec la rencontre de deux voyageurs que le hasard a réunis dans la même cabine d'un train. L'idylle entre Patti (Nicole Kidman) et Eric (Colin Firth) aurait pu faire l'objet d'une agréable romance d'adultes à l'automne de la vie, avec comme toile de fond les vertes collines brumeuses de l'Écosse.

Seulement voilà: le vrai destin d'Eric Lomax, ex-officier de l'armée britannique qui fut libéré en 1945 du terrible camp Changi, à Singapore, porte les traces de tortures atroces qui se sont exprimées dans un grave choc post-traumatique.

Le réalisateur australien Jonathan Teplitzky s'est donné la mission de transposer au grand écran The Railway Man, récit autobiographique qu'Eric Lomax a publié en 1995 et qui relate ses années de prisonnier sur la ligne Siam-Birmanie, tristement surnommée «la Voie ferrée de la mort».

«Le problème avec les films biographiques, c'est que l'on met souvent les événements en priorité sur la construction des personnages», évoque Teplitzky, lors d'une rencontre de presse à laquelle a également participé Patti Lomax. Calme septuagénaire à la voix douce et seconde femme d'Eric Lomax (mort pendant le tournage, en 2012), Patti Lomax nous a donné sa version des faits sur les premiers instants d'un amour qui a triomphé des séquelles du passé.

«On peut dire que nous avons vécu un coup de foudre amical. Et un grand amour a suivi...», confie la dame qui, dans Railway Man, est replongée au début des années 80, sous les traits de l'actrice Nicole Kidman.

«C'est Colin [Firth] qui nous a suggéré Nicole pour le rôle de Patti. Elle a tout de suite accepté, car elle s'identifiait à ce combat pour épauler une personne en difficulté», souligne le producteur Chris Brown.

Railway Man démontre comment, le soir de la lune de miel de Patti et d'Eric, les fantômes de la guerre ont exposé leurs ravages sur la psyché de l'ex-officier. Cauchemars violents, hallucinations, terreur, Eric Lomax était complètement sous le joug des sévices commis par Takashi Nagase (Hiroyuki Sanada), et ce, même 35 ans après son retour au pays.

«Lors des séances de conseil et de soutien auxquelles j'ai participé avec Eric, j'ai pris conscience de la brutalité de ce qu'il avait vécu», exprime Patti Lomax, qui dit que même si le film va très loin dans la description visuelle de la violence, «c'est peu, en comparaison de ce qu'Eric a réellement vécu».

Le pont de la rivière Kwai

Nagase n'est pas le seul tortionnaire qui s'est acharné sur Eric Lomax. Mais si ce dernier a fait une fixation sur lui, c'était parce que l'officier japonais était un homme instruit et conscient de ses gestes. Quand elle a compris que le seul moyen de sauver son mari du suicide était de prendre contact avec son tortionnaire, Patti Lomax a écrit à Nagase qui, contre toute attente, lui a répondu.

C'est ainsi qu'a été enclenché un processus de communication, qui a permis la réconciliation...

«Je pense que Nagase était un homme très courageux et j'espère que viendra le jour où le Japon reconnaîtra sa bravoure», affirme aujourd'hui Patti Lomax.

Comment a-t-elle pu arriver à cette conclusion si radicalement opposée au sentiment de vengeance qui a si longtemps hanté son mari? C'est ce que s'applique à dépeindre The Railway Man, dont le thème central est le pouvoir de la réconciliation contre la rancoeur et même de l'amitié qui a fini par unir le tortionnaire et sa victime.

Pour Patti Lomax, le moment le plus intense de cette histoire a été la rencontre de Lomax et de Nagase en 1993, près du pont de la mythique rivière Kwai, portion de la Voie ferrée de la mort immortalisée en 1957 dans le film Le pont de la rivière Kwai.

C'est là que Nagase a offert à Lomax ses sincères excuses, ce qui a ouvert la voie à une communication entre les deux hommes. Cette scène, réincarnée par Nicole Kidman et Colin Firth, a d'ailleurs été tournée le jour du 93e anniversaire d'Eric Lomax.

Patti Lomax nous a expliqué comment son mari et elle ont fini par comprendre que c'était les pressions culturelles, et non une quelconque barbarie, qui ont poussé Nagase à faire preuve d'une telle violence.

Tourmenté lui aussi par ses actes, l'ex-officier japonais s'est converti au bouddhisme après la guerre et s'est consacré à du travail caritatif, en accomplissant une centaine de missions de réparation sur l'emplacement de la rivière Kwai, en Thaïlande.

Filmé en Écosse, en Australie et en Thaïlande, The Railway Man est l'aboutissement d'un processus de 15 ans, dans lequel Eric Lomax lui-même a été intimement impliqué, avant de mourir en 2012.

Pour le réalisateur Jonathan Teplitzky, le continuel souci de vérité qui a toujours habité son héros était le réel moteur du récit. «C'est une histoire de survie physique et de survie mentale. La réconciliation de Lomax et de Nagase est un cas vraiment unique de l'histoire contemporaine.»

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The Railway Man prend l'affiche le 25 avril.