Pour sa deuxième réalisation, Ralph Fiennes s'attarde à un chapitre méconnu de la vie de Charles Dickens: sa liaison sentimentale avec une jeune femme pendant les 13 dernières années de sa vie.

D'entrée de jeu, Ralph Fiennes insiste. Charles Dickens n'est pas le personnage central de The Invisible Woman, un film dont il signe la réalisation et qui prendra l'affiche vendredi à Montréal en anglais seulement.

«Ce qui m'intéressait avant tout était de suivre le parcours d'Ellen Nelly Turnan, a expliqué l'acteur et cinéaste au cours d'un entretien accordé à La Presse au Festival de Toronto. Cette jeune femme a laissé tomber son métier d'actrice pour devenir la maîtresse d'un homme de 27 ans son aîné. À l'époque victorienne, une femme qui entretenait une liaison avec un homme marié courait un très grand risque. Elle pouvait être mise au ban de la société "respectable". D'autant que Dickens était une personnalité fort connue et populaire. D'où le caractère clandestin de cette relation pendant plusieurs années. Je voulais tenter de comprendre comment une jeune femme vivant à cette époque pouvait faire un tel choix.»

Vies intérieures bouleversées

Quand Charles Dickens (joué par Ralph Fiennes) rencontre la jeune femme pour la première fois en 1857, il est âgé de 45 ans et se trouve au faîte de sa gloire. Père de nombreux enfants, l'auteur d'Oliver Twist est marié depuis longtemps à Catherine (Joanna Scanlan), mais les étincelles dans le couple - qui divorcera un an plus tard - se font très rares.

Aussi est-il subjugué par la beauté d'Ellen, une jeune actrice de 18 ans qui joue dans une production de la pièce The Frozen Deep. Évidemment, la relation entre ces deux êtres se développera de façon subtile et élégante, non sans créer de sérieux bouleversements dans la vie intérieure des deux protagonistes.

«Je voulais surtout faire écho à cet aspect des choses, affirme Ralph Fiennes. Quand j'ai accepté de réaliser ce film, j'ai beaucoup travaillé avec la scénariste Abi Morgan et j'en ai aussi parlé à Claire Tomalin, auteure du livre qui a inspiré le scénario. Je voulais emprunter une approche délicate, qui mise davantage sur la subtilité. Au cinéma, il est à mon sens plus intéressant d'observer la vie intérieure des personnages. On ressent très vivement les soubresauts, les tremblements. On voit que ça bascule. Je ne voulais rien de sensationnaliste. Il ne me semblait pas pertinent non plus d'ajouter une notion politique ou revendicatrice. Il y a là deux êtres humains, simplement, dans un certain contexte. Qu'est-il arrivé entre eux?»

Il existe évidemment de nombreux ouvrages à propos de Charles Dickens, mais sa relation avec Ellen, qui marquera les 13 dernières années de la vie de l'auteur, reste assez méconnue.

«J'ai été aussi surpris de constater que Charles Dickens n'a pratiquement jamais été personnifié au cinéma, ajoute Ralph Fiennes. Du moins, sa vie n'a jamais fait l'objet d'un film, à ce que je sache. L'auteur est bien entendu une icône, particulièrement chez nous en Grande-Bretagne, mais les gens connaissent bien davantage les oeuvres que la vie de l'homme. Ils entretiennent un lien intime avec le personnage, qui est toujours aussi vivant dans notre esprit que Shakespeare, et ils connaissent l'affection qu'il avait pour sa famille, la littérature, le théâtre. Mais au-delà de ça, on ne le connaît pas vraiment. Il pouvait être dur aussi. Surtout envers ses amis s'il s'estimait trahi. J'aime ce genre de contradictions chez un personnage.»

Succomber à la tentation

Après avoir porté à l'écran le drame shakespearien Coriolanus, Ralph Fiennes s'était juré de ne plus se donner un rôle de premier plan dans un film dont il signe la réalisation. Il n'a toutefois pu résister à l'envie de se glisser lui-même dans la peau du célèbre auteur anglais.

«La décision fut difficile à prendre, mais j'ai succombé à la tentation, dit-il. Je n'ai pu faire autrement. Je me suis préparé psychologiquement à revivre ce que j'avais vécu deux ans auparavant. Mais là, j'aimerais bien trouver un projet de réalisation dans lequel il n'y a pas vraiment de rôle pour moi. Ou alors, juste le temps d'une participation.»

L'acteur-cinéaste a pu s'appuyer sur quantité d'ouvrages pour composer son Dickens. Felicity Jones, qui a hérité du rôle d'Ellen, a de son côté dû faire preuve d'imagination. Vue avant tout dans des rôles secondaires ou dans des productions qui n'ont guère franchi les frontières du Royaume-Uni, l'actrice fait son entrée sur la scène cinématographique internationale grâce à ce premier grand rôle.

«Il s'agissait à mon sens d'un défi encore plus grand pour Felicity, car on ne sait vraiment pas grand-chose à propos de Nelly, fait remarquer Ralph Fiennes. Il existe très peu de documentation sur elle, à vrai dire. Moi, j'avais la chance de disposer d'une pile d'archives et de nombreux ouvrages. J'ai voulu faire écho à la grande vitalité de cet homme, à sa volonté, à son côté très contrôlant aussi. Même à une époque où l'on ne pensait pas du tout à ce genre de concept, il savait très bien gérer son image.»

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The Invisible Woman prend l'affiche le 10 janvier en version originale anglaise.