Naomie Harris est spectaculaire. Elle a 35 ans, mais en fait facilement 10 de moins. Bref, le rôle de Bond Girl - elle incarne Moneypenny dans Skyfall, et reprendra le rôle dans les prochaines aventures de l'agent 007 - lui va aussi bien que la robe qu'elle portait lors de l'entrevue qu'elle a accordée à La Presse, à la mi-novembre. Mais ce jour-là, après une entrée en matière ensoleillée, la conversation a pris un tour sérieux. Il était question d'un film et d'un sujet importants pour elle, Mandela: Long Walk to Freedom, dans lequel elle incarne Winnie Madikizela, figure controversée qui fut la femme de Nelson Mandela de 1958 à 1996.

Q. Comment le projet est-il arrivé à vous?

Justin [Chadwick] m'a dirigée dans The First Grader, que nous avions aussi tourné en Afrique du Sud. Nous en faisions la promotion au Festival de Toronto, en 2010, quand il m'a demandé si je voulais jouer Winnie. Sur le coup, j'ai pensé: «Formidable!» C'est après que j'ai découvert qu'elle n'était pas que la femme de Nelson Mandela, mais qu'elle était une militante politique et une femme très controversée. Ç'a été un choc énorme. Je me suis alors demandé ce que j'avais fait là. Je peux dire aujourd'hui que c'est sans aucun doute le rôle le plus difficile que j'aie jamais joué.

Q. Comment vous êtes-vous préparée?

J'ai lu énormément sur elle, sur l'apartheid, sur l'Afrique du Sud, des biographies, des interviews, des documentaires. Je me sentais comme une détective parce que ce qui ressortait de ces recherches était la complexité de Winnie. Le portrait tracé change d'un document à l'autre. Tout le monde a son idée de qui elle est, elle polarise vraiment les opinions. Bref, à un moment donné, j'ai demandé s'il était possible de la rencontrer. Et cela s'est fait. Nous nous sommes assises, nous avons parlé. Je lui ai demandé, comment elle espérait être dépeinte. Elle m'a dit de ne pas m'inquiéter, que j'avais été choisie parce que j'étais la bonne personne pour le rôle. Donc, elle me faisait entièrement confiance et espérait que je l'interprète de la façon dont moi je la sentais.

Q. Et cela vous a facilité la tâche?

Sa réponse a été libératrice et m'a enlevé un poids énorme. Mais il m'a été difficile de prendre tout ce que je savais sur elle et de la «trouver». Parce qu'elle est la femme que certains adorent et que d'autres détestent. Elle est la charmeuse et la... pas si charmeuse. Elle est les deux. Ç'a donc été une expérience riche, mais dure. En fait, je n'ai pas travaillé pendant un an après avoir terminé ce film parce que, quand on passe autant de temps en compagnie d'un tel personnage, il est difficile, après, de le faire sortir de sous notre peau.

Q. Nelson Mandela n'est pas, lui non plus, dépeint comme parfait.

Et c'est extrêmement important qu'il en soit ainsi. Cela rend ce qu'il a fait encore plus admirable. J'aime que, dans la foi juive, on refuse de sanctifier les saints. Parce que les saints sont des humains ayant des faiblesses - puisqu'être humain signifie cela, avoir des faiblesses. Si Mandela avait été un saint, son message aurait eu moins d'impact. On aurait pu se dire: «C'est normal qu'il fasse preuve d'autant de compassion et qu'il puisse ainsi pardonner. Il est parfait.» Mais non, il est comme vous et moi. Et il a fait ces choses extraordinaires.

Q. Vous incarnez Winnie de 23 à 57 ans. Un cadeau ou un défi?

Personnellement, j'ai des problèmes quand plusieurs acteurs interprètent un même personnage à des âges différents. Ça détourne l'attention, au moins pendant un moment. Ici, côté apparence, nous avons travaillé en subtilité, avec les artistes qui étaient aussi sur The Iron Lady. Mais les changements extérieurs ne sont qu'une partie du processus. La transformation intérieure est, elle aussi, très importante. Pour cela, j'avais à modifier mon énergie, ma façon de bouger, de parler, selon l'âge de Winnie. Être cette guerrière dans la vingtaine puis cette femme vieillissante. J'ai adoré découvrir ce que c'est que d'approcher de la soixantaine... et j'ai eu un plaisir fou à être dans la vingtaine de nouveau. Bref, sans contredit, c'est un cadeau [rires].

_______________________________________________________________________________

L'entrevue a été réalisée à la mi-novembre, avant la mort de Nelson Mandela.