Le réalisateur de Sideways ne pouvait voir autrement qu'en noir et blanc ce road movie tranquille dans lequel un père et son fils partent sur les traces de leur histoire commune. Nebraska a valu à Bruce Dern un prix d'interprétation à Cannes.

Pour la première fois de sa carrière, Alexander Payne porte à l'écran un scénario qu'il n'a pas écrit. Dans Nebraska, on retrouve pourtant la griffe de celui qui a fait sa marque avec des films comme About Schmidt, Sideways et The Descendants. On y dénote le même sens aigu de l'observation, l'humour décalé, le regard attentif. Bref, tout y est.

«J'ai lu le scénario de Bob Nelson il y a neuf ans, a indiqué le cinéaste au cours d'une rencontre de presse tenue récemment à Toronto. Comme je venais de réaliser Sideways, l'idée de me replonger tout de suite dans un autre road movie ne me souriait guère. J'avais envie de sortir de la putain de voiture! Cela dit, je n'aurais pas cru qu'il me faudrait mettre autant de temps entre Sideways et The Descendants. Ma vision de Nebraska n'a pas vraiment changé au fil de toutes ces années, mais je crois qu'elle s'est quand même enrichie.»

Quand on lui demande de préciser la nature de cet enrichissement, Alexander Payne explique que son film est probablement plus près de lui qu'au moment où il a lu le scénario pour la première fois.

«J'ai vieilli, dit-il simplement. J'ai maintenant franchi la cinquantaine. C'est dire que mes parents sont aussi vieillissants. L'expérience que je vis avec eux a forcément nourri le film. Mais au-delà de mon cas personnel, il y a aussi le facteur économique. La situation financière des Américains a radicalement changé depuis la crise de 2008. Il y a encore clairement un malaise. Je ne voulais pas insister là-dessus, mais on le sent quand même. L'utilisation du noir et blanc accentue cette impression.»

Du Montana au Nebraska

La trame narrative de Nebraska repose sur un postulat très simple. Convaincu d'avoir gagné 1 million de dollars après avoir reçu un certificat d'une société de loterie bidon, Woody (Bruce Dern), un vieil homme habitant le Montana, se met en tête d'aller réclamer la somme qui lui est due. Envers et contre tous. Quitte, s'il le faut, à se rendre seul au Nebraska, où se situe le bureau de la société.

Étant donné que la destination se trouve dans un État où vit encore une bonne partie de la famille de Woody, l'expédition se transforme en une leçon d'histoire familiale pour David (Will Forte). Ce dernier, qui a finalement consenti à accompagner son père dans ce voyage insolite, découvre ainsi tout un pan de la vie d'un homme qui ne lui a jamais vraiment parlé.

Fidèle à son habitude, Alexander Payne a entouré ses acteurs professionnels de gens souvent recrutés sur les lieux de tournage.

«Je fais appel à trois catégories d'acteurs, explique le cinéaste. Il y a les professionnels, les acteurs amateurs - c'est-à-dire ceux qui font du théâtre régional sans vivre de leur art - et ceux qui n'ont jamais fait cela de leur vie. J'aime cette mixité. Je trouve qu'elle apporte une touche d'authenticité qui serait difficilement atteignable autrement. Ces trois catégories d'acteurs jouent ensemble dans le même film et j'aspire à ce que le spectateur ne puisse pas les distinguer les uns des autres. Cela dit, c'est un vrai travail de trouver les bonnes personnes. Il faut aussi s'assurer qu'elles ne figeront pas devant la caméra en présence d'une équipe de 60 techniciens. Et moi qui leur crie après!»

Le cinéaste compose ainsi sa distribution avec un très grand soin.

«Parfois, on met beaucoup de temps à trouver un comédien pour un rôle de troisième plan, fait-il remarquer. Mais je tiens à cette méthode. Je veux que mes films soient liés à la vie réelle, qu'ils aient un rapport direct avec ce que nous vivons. Je travaille à l'instinct aussi. Je ne me lance jamais dans un projet avec un message précis à lancer au monde. Cela m'émeut de savoir qu'un tournage peut toucher directement la vie d'autant de personnes. Et la mienne en particulier.»

L'appui d'un grand studio

Tourné avec un budget très modeste, de façon indépendante, Nebraska a pourtant obtenu un contrat de distribution auprès du grand studio Paramount. Comme tout le monde, Alexander Payne a été plutôt surpris par l'intérêt d'une entreprise qui, habituellement, appuie des productions plus ambitieuses.

«Aucun studio ne veut évidemment entendre parler d'un film en noir et blanc à petit budget sans grandes vedettes, dit-il. Or, chez Paramount, on s'est intéressé au film et on a consenti à le distribuer. J'en suis évidemment ravi. Ils ont même mis la mention du Festival de Cannes dans la bande-annonce américaine. Je n'aurais pas cru que, le public québécois mis à part, une telle mention puisse servir d'argument de vente auprès du public nord-américain.»

Aux yeux de cet Américain né à Omaha, la métropole québécoise est une ville unique. «Montréal est ma ville favorite en Amérique du Nord, lance-t-il. Peut-être juste devancée par New York, qui est un véritable pays en soi. Il y a maintenant cinq ans que je n'ai pas mis les pieds à Montréal et, très franchement, cela me manque.»

> Les frais de transport ont été payés par Paramount Pictures.