Pour son quatrième long métrage, Catherine Martin orchestre la rencontre inattendue entre deux «analphabètes des sentiments» qui, au-delà de toute trivialité, reconnaissent en l'autre leur âme soeur.

Catherine Martin aime faire du cinéma. En laissant parler les images. Elle aime aussi utiliser un langage narratif propre au septième art, ce qui, dans les faits, est de plus en plus rare. Dans son nouveau et magnifique film - Une jeune fille -, l'auteure-cinéaste propose une oeuvre extrêmement dépouillée, dans laquelle les sentiments évoluent au gré de touches impressionnistes.

Au centre du récit, une adolescente, Chantal (Ariane Legault). Cette dernière décide de partir seule vers la Gaspésie, un endroit dont rêvait sa mère récemment disparue. Sans repères, sans grandes ressources non plus, la jeune fille tente de retrouver là-bas la plage qui apparaissait sur une photo que sa mère lui a montrée avant de mourir. Elle tombe sur Serge, un loup solitaire (Sébastien Ricard). Qui l'embauche pour faire de menus travaux.

«Je ne sais trop comment naît une idée de film, mais ces personnages-là, très seuls, m'ont habitée pendant un bon moment avant même l'écriture d'une première ébauche, explique Catherine Martin. Ces deux êtres sont des analphabètes des sentiments, mais ils se reconnaissent quand même intérieurement. Comme deux âmes soeurs qui se rencontrent. Il était essentiel à mes yeux d'aborder ce rapport - et le film - sur un plan plus spirituel.»

Loin des clichés

Ainsi, le portrait de l'adolescence que brosse l'auteure-cinéaste à travers le personnage de Chantal s'éloigne résolument des clichés habituels. La rencontre entre la jeune fille et l'homme plus mûr est aussi dénuée de tout aspect de séduction.

«Dans mon esprit, il était dès le départ très clair que cette rencontre se situerait à un autre niveau, explique la réalisatrice. Je sais qu'en mettant au centre d'une histoire une jeune fille et un homme plus mûr, on pourrait s'attendre à ce qu'il y ait aussi un rapport de séduction. Parce qu'on a tendance à s'arrêter habituellement à ce qu'il y a de plus trivial. Même à l'étape de l'écriture, on me poussait à aller dans cette direction. On me disait qu'il était impossible que cette notion-là soit absente de leur relation.»

«Or, poursuit-elle, j'ai refusé. Je tenais à m'éloigner de ces clichés. J'estime qu'il est possible que deux êtres établissent entre eux un lien très fort sans tomber dans un rapport de désir charnel. Je souhaitais écrire une histoire qui fasse écho à mes convictions profondes, et qui relèverait de l'ordre de la bonté, de la bienveillance, et des rapports simples et fraternels entre les gens. Et puis, le cinéma est aussi un art où l'on peut exprimer des choses différemment, grâce à une vision poétique et métaphorique.»

S'inspirant aussi beaucoup de l'art pictural, Catherine Martin compose ses plans comme de véritables tableaux. Elle affirme avoir été aussi très inspirée par la série des Profils paysans du grand documentariste français Raymond Depardon.

«Raymond Depardon est une grande influence, dit-elle. Ses portraits ruraux auraient pu être tournés chez nous tellement les réalités se ressemblent. Il y a beaucoup d'affinités entre les paysans français et québécois. Ne serait-ce que sur le plan des difficultés qu'ils rencontrent. D'une certaine façon, je vois Une jeune fille comme un hommage aux fermiers que j'ai eu le plaisir de rencontrer à l'époque où j'ai fait du documentaire.»

À contre-courant

Reconnue pour son approche attentive, voire même contemplative parfois, l'auteure-cinéaste s'inscrit résolument à contre-courant dans le contexte cinématographique actuel, où tout est axé sur le rythme, l'efficacité, parfois même l'esbroufe.

«Les habitudes sont désormais bien ancrées, reconnaît-elle. Je n'ai rien contre les codes narratifs télévisuels, mais il me semble important d'offrir aussi des oeuvres cinématographiques dans lesquelles on peut entrer et s'abandonner, sans que l'on nous montre toujours des rapports conflictuels ou passionnels. Je crois que les spectateurs ont aussi soif d'autre chose. Si on passe à côté de sa vie intérieure, on risque de passer à côté de ce que la vie peut nous apporter de plus riche.»

Deux êtres, une maison, la nature gaspésienne. C'est tout simple. Et c'est magnifique.

> Une jeune fille prendra l'affiche le 4 octobre.

Raconter le pays

Dès que Catherine Martin lui a fait part de son projet, Sébastien Ricard a été séduit à l'idée d'incarner un personnage inhabituel.

«J'ai aimé l'idée qu'on pense à moi pour incarner un fermier gaspésien, dit-il. J'ai aussi beaucoup aimé le scénario dès la première lecture. J'aime les évocations, les eaux troubles, le genre de propos. Il y a là quelque chose de très fort. Quand j'ai vu le film, j'ai été ravi. Je trouve qu'il est magnifique, vraiment très réussi.»

«En même temps, je me suis dit qu'on ne voit plus de cinéma comme ça! Voilà un film qui se voit, qui se ressent. Il y a une vraie représentation de ce qu'est l'existence dans sa réalité. Il est aussi révélateur du Québec, avec sa manière d'être au monde. L'art a toujours été un combat. Plus que jamais, il est important de laisser les créateurs de talent s'exprimer.»

Filmographie sélective de Catherine Martin

> Les dames du 9e (1998)

Moyen métrage documentaire dans lequel se racontent serveuses et clientes de la salle Art déco du célèbre restaurant du magasin Eaton.

> Mariages (2000)

Ce premier long métrage de fiction vaut à Catherine Martin le prix du meilleur scénario au Festival des films du monde de Montréal.

> Océan (2002)

Moyen métrage documentaire tourné à l'intérieur d'un train assurant la liaison Montréal-Halifax.

> Dans les villes (2006)

Quatre femmes vivant dans un même quartier se rencontrent. Le dernier long métrage de la regrettée Hélène Loiselle.

> Trois temps après la mort d'Anna (2010)

Lancé au festival de Karlovy Vary, ce film est notamment marqué par une composition vibrante de Guylaine Tremblay.