Johnny May n'est ni une rock star ni un joueur de baseball. Johnny May est un pilote de brousse nordique qui a passé 34 000 heures - l'équivalent de quatre ans! - aux commandes de son monomoteur Beaver, à desservir les 14 villages de la communauté inuk du Nunavik, son peuple, son pays.

«Johnny a toujours vécu comme un Inuk, même si son père était blanc», nous dit Marc Fafard, scénariste et réalisateur du documentaire 3D Les ailes de Johnny May, qui a été présenté en première à Présence autochtone.

Manitobain de naissance, May père a longtemps travaillé pour la Compagnie de la Baie d'Hudson. Le Nord et le style de vie de ses habitants le fascinaient et il a décidé de vivre comme eux, au point de devenir «plus esquimau que les Esquimaux». Au grand dam de la Compagnie, il a épousé une «mangeuse de viande crue» avec qui il a eu quatre enfants dont Johnny, qui deviendra pilote lui aussi.

«Johnny est un héros pour son peuple, mais c'est un homme humble et discret», souligne Marc Fafard qui a mis cinq ans à réaliser le projet, une coproduction Canada-France comptant quatre partenaires dont les Productions Thalie de Québec (Yves Fortin) et l'ONF, depuis longtemps la principale source documentaire sur les sociétés du Nord.

Spécialiste de la stéréoscopie et habitué des grosses productions, Marc Fafard a déjà à son crédit plusieurs films IMAX dont Dinosaures - Géants de la Patagonie (2007) et Dragons - Real Myths and Unreal Creatures (2013).

Fins du monde

Au cours du demi-siècle qu'il a passé dans le ciel du Nunavik - «le territoire où vivre» en langue inuttitut -, Johnny a sauvé des vies et frôlé la mort. Il a aussi été le témoin de «deux fins du monde»: la fin du monde esquimau traditionnel - on a commencé à dire inuk et son pluriel inuit dans les années 70 - et la fin de l'écosystème nordique provoquée par la pollution industrielle et le réchauffement de la planète.

Sensible aux problématiques humaines, Marc Fafard n'a eu aucune difficulté à s'engager dans la voie souhaitée par les coproducteurs européens, soit les changements sociaux amenés par la modernité. «Johnny pose un regard inquiet sur la réalité, car il a vu son peuple devenir malade...»

Malade de plomb et de mercure, malade de drogue et d'alcool - même au stade foetal -, malade du Nord devenu méconnaissable, malade du Sud mythique que lui montre la télé. Malade aussi du souvenir de ces pensionnats éloignés de leurs villages où des centaines d'Inuit ont été envoyés de force, avec interdiction formelle de parler leur langue, précise Fafard, sous peine de punition corporelle: «Le mépris était total et plusieurs y ont subi des sévices graves. Le gouvernement fédéral a d'ailleurs présenté des excuses et institué la commission Vérité et réconciliation.»

Quel aspect de sa recherche a le plus surpris le réalisateur? «L'écart entre la perception des gens du Sud - qui croient que les Inuit vivent confortablement, et sans travailler, dans un genre de B.S. sur les stéroïdes - et la réalité où l'on est sidéré par la gravité des problèmes sanitaires, éducationnels et sociaux...» Au Nunavik, 40 % des morts d'adolescents sont des suicides, et on dénombre pas moins de 300 évacuations médicales par année.

L'espoir? Pour Marc Fafard, il est peut-être dans le Plan Nord du gouvernement québécois qui verra l'exploitation des richesses, minières entre autres, du Nunavik. «Il faudra voir si les bienfaits économiques seront perceptibles dans l'amélioration des conditions de vie, dans la santé et l'éducation...»

L'espoir se trouve surtout dans le coeur d'hommes et de femmes comme Johnny et Louisa May qui, «au-delà de tous les obstacles, aspirent à l'amalgame de la tradition et de la modernité. Sans devenir schizophrènes».