Haifaa Al Mansour est la première femme à avoir réalisé un long métrage de fiction en Arabie saoudite. On y suit Wadjda, jeune fille de 11 ans qui n'a qu'un objectif: avoir un vélo. La réalisatrice nous a raconté son désir de raconter des histoires et la vie qui change lentement dans ce pays où hommes et femmes ne vivent pas sur la même planète.

Fille du poète Abdul Rahman Mansour, huitième enfant d'une fratrie de 12, Haifaa Al Mansour a été élevée dans un milieu assez libéral de classe moyenne: voyages en Europe, études au Caire et à Sydney.

Fascinée par les films hollywoodiens, elle est arrivée au cinéma par hasard. Ses trois premiers courts métrages ont été faits pratiquement à la mitaine, avec l'aide de sa famille. Elle a ensuite réalisé un documentaire très bien reçu, Women Without Shadow.

La réalisatrice de 38 ans est mariée à un diplomate américain, a deux enfants et vit maintenant à Barheïn. C'est là qu'elle était lorsqu'elle a répondu à nos questions.

Q Wadjda a été présenté il y a un an en ouverture de la Mostra à Venise. Vous y retournez cette année à titre de présidente du jury du meilleur premier film. Quel effet cela vous fait-il?

R C'est un honneur pour moi. Je suis très fière parce que Venise a été le meilleur tremplin pour mon film. Je m'y sens presque comme à la maison, mais je sais que ce sera difficile de faire un choix parce qu'il y aura beaucoup de bons films.

Q Depuis un an, Wadjda a été vu partout dans le monde. C'était ce que vous vouliez, montrer comment on vit dans ce pays qu'est l'Arabie saoudite?

R Je voulais d'abord raconter une histoire captivante. Je sais que ce pays est difficile pour les femmes et le film ne prétend pas le contraire. Mais je ne voulais pas en faire un récit factuel: mon but était de raconter comment les gens survivent même si la situation est ardue, comment ils peuvent gagner, se battre et trouver leur voix. Je voulais aussi changer la perspective, montrer les femmes autrement que comme des victimes.

Q Pourquoi avez-vous choisi le vélo comme symbole?

R Je voulais une histoire simple et prenante. Le vélo est un symbole extraordinaire: c'est l'accélération, l'air frais, la liberté, la mobilité... Et surtout, c'est un jouet! Finalement, ce film est seulement l'histoire d'une enfant qui veut un jouet. Mais on peut beaucoup dire avec ça! Mon style est minimal, mais on ressent beaucoup de choses à l'intérieur de cela. J'ai d'ailleurs beaucoup été influencée par le cinéma iranien et le réalisme italien.

Q Wadjda est déterminée et elle sait ce qu'elle veut. Est-ce que beaucoup de jeunes Saoudiennes lui ressemblent?

R Il y a beaucoup de petites filles comme elle, surtout maintenant avec l'internet et la télé. J'ai grandi dans une petite ville; tout ce qu'on avait, c'est huit chaînes à la télé! Nous étions tellement isolés... Maintenant, le monde n'est plus le même. Aujourd'hui, tous les enfants saoudiens ont un iPad.

Q Mais il y a un fossé entre la tradition et la modernité...

R Oui, c'est certain. Et ça crée beaucoup d'espace pour raconter des histoires! Dans ce pays, 65% de la population a moins de 25 ans. Cette génération va changer les choses. Il y a des débats en ce moment et c'est excitant.

Q Vous avez l'impression que vous pouvez y contribuer?

R Je peux aider. Pas en militant dans la rue, mais en créant, en parlant, en montrant la joie... Je n'essaie pas d'être politique; je fais seulement quelque chose en quoi je crois.

Q Vous voyez-vous comme un modèle pour les jeunes filles?

R Je ne sais pas, je ne suis pas si parfaite! Mais j'espère pouvoir leur donner l'idée qu'il est possible d'être différente et de réussir. Qu'on n'est pas obligé de suivre le même chemin que tout le monde.

Q Est-il vrai que vous avez dû tourner les scènes de rue enfermée dans une voiture?

R C'est comme ça, je n'avais pas le droit d'être dehors. Alors tout le monde m'entendait crier: «Fais ci, ne fais pas ça!» Honnêtement, ça m'a fait travailler plus fort, mais je n'étais pas frustrée. Comme on devait finir dans les délais, je devais penser à l'essence de chaque scène, rester concentrée sur ce qu'il y avait de plus important. Mais c'est vrai que lorsqu'il y a des obstacles, il faut en faire plus...

Q Vous travaillez à un autre projet en ce moment?

R J'essaie, je dois trouver la bonne histoire... J'ai beaucoup de pression maintenant, il faut que ce soit bon! Mais je ne crois pas que ça prendra cinq ans de travail comme pour mon premier film.

Q Les femmes sont toujours votre sujet de prédilection?

R La vie des femmes est fascinante, et il y a tellement de choses qu'on ne sait pas sur la ségrégation. Et puis, je ne sais pas ce qui se passe du côté des hommes, il faudrait que j'aille voir! Je suis d'abord une raconteuse. Je crois aux droits des femmes, mais je crois surtout aux histoires que je veux raconter.

Wadjda prend l'affiche vendredi en version originale sous-titrée en français et en anglais.