Dans un couloir de piste de 400 mètres, Sarah est reine, déterminée, sûre d'elle, capable de défoncer ses chronos. Mais dès qu'elle sort de cette ornière, Sarah cherche sa route. Film sur les premiers pas que l'on fait à l'âge adulte, avec toutes les conséquences de ses choix, Sarah préfère la course de Chloé Robichaud arrive sur les écrans québécois après un passage remarqué à Cannes. La Presse a rencontré une équipe de cinéma qui a du souffle.

L'entrevue s'achève et nous demandons à la réalisatrice Chloé Robichaud quels mots elle emploierait pour définir son film Sarah préfère la course. Elle réfléchit une seconde, puis elle lance «hors normes» avec assurance.

C'est la même expression (personnages hors normes, marginaux) qu'elle avait employée, quelques minutes plus tôt, pour établir une constante entre ses courts métrages et ce premier long ponctuant sa jeune carrière qui l'a conduite pour la quatrième année à Cannes.

Dans Sarah préfère la course, le spectateur ira à la rencontre de Sarah (Sophie Desmarais), un personnage singulier, intérieur et qui se sent nettement mieux sur une piste de 400 m que dans une fête entre jeunes de son âge (20 ans) au centre-ville. Bref, un personnage hors du cadre qui contrôle sa vie à l'intérieur d'un... couloir.

Adepte de la course de demi-fond, Sarah quitte sa famille établie dans la région de Québec pour étudier à l'Université McGill, où elle entre dans l'équipe d'athlétisme. Elle va jusqu'à épouser son ami Antoine (Jean-Sébastien Courchesne) pour profiter des prêts et bourses. Un choix rempli d'ambiguïtés et de conséquences compte tenu de l'éveil sexuel qu'elle ressent en présence de Zoey (Geneviève Boivin-Roussy), autre athlète, rivale et seule amie.

«Sarah va avoir toutes sortes de choix et décisions à prendre, que ce soit financier, social, familial, amoureux, sexuel, dit Mme Robichaud. C'est une fille qui, allant vers l'âge adulte, va décider de ce qu'elle veut faire de sa vie. Tous ces éléments viennent avec sa décision.»

Transfiguration

Pour Sophie Desmarais, qui défend ici son premier grand rôle à l'écran, le déménagement de Sarah se traduit par un cheminement intérieur. «Elle va ressentir les symptômes de son désir ou de son éblouissement pour Zoey et ça va la transformer, la transfigurer. Pour moi, ce film est une transfiguration. Ah! j'aime ce mot. C'est la première fois que je le dis», lance-t-elle en souriant.

La comédienne parle avec affection de Sarah qu'elle trouve «courageuse» et dotée d'une grande sensibilité en dépit de la froideur qu'elle peut manifester à l'égard de ceux qui la côtoient.

En matière de jeu, elle adore son silence, ses non-dits. «Sarah ne s'exprime pas dans les mots, n'a pas le charisme nécessaire pour parler. Mais son corps s'exprime, expose la comédienne. Ce n'est pas parce qu'elle est une athlète qu'elle est à l'aise physiquement dans un party. Pour moi, ces contradictions étaient importantes au tournage. Je devais jouer avec ces détails. Ça devenait une forme d'écriture. [...] J'aime travailler une proposition physique, car ça permet de faire des choix. C'est ça notre latitude. Le texte est écrit et on ne le change pas. Mais comme acteur, le sous-texte nous appartient et on le travaille, avec la vision du metteur en scène.»

Si Sophie Desmarais a trouvé dans les postures de Sarah la façon de dire les choses, Chloé Robichaud a composé un décor, une ambiance, une palette de tons qui en disent long sur l'univers du personnage. C'est là une des forces du film.

«Il fallait une mise en scène fidèle au personnage. Sarah est quelqu'un de plus effacé, sobre. Donc, j'aurais mal vu une mise en scène flamboyante, répond la réalisatrice. Il fallait être en harmonie avec son univers, avoir quelque chose de minimaliste. Je voulais aussi faire un film qui était subtil et aller dans la finesse. Ce sont des choses que j'aime au cinéma.»

Sarah préfère la course prend l'affiche le 7 juin.

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Ils ont dit...

Ces trois comédiens sont de la distribution de Sarah préfère la course. Voici ce qu'ils nous ont dit de leur expérience, de la réalisatrice Chloé Robichaud et de leur personnage...

Jean-Sébastien Courchesne (Antoine)

C'est la quatrième fois que je travaille avec Chloé. Notre vision du cinéma se ressemble. J'ai beaucoup d'admiration pour les gens qui, comme elle, font du cinéma d'auteur, réaliste, sans compromis et qui donne souvent des résultats artistiques plus intéressants. Elle fait partie de la nouvelle vague québécoise avec les Rafaël Ouellet, Sébastien Pilote, Maxime Giroux, etc.

Dans le film, il y a un renversement des pôles. Le personnage d'Antoine va exprimer ses émotions, n'a pas peur de ce qu'il ressent alors que celui de Sarah a une carapace. On y a difficilement accès. Normalement, c'est le gars qui a une façade aussi dure.

Photo Ninon Pednault, La Presse

Geneviève Boivin-Roussy (Zoey)

Zoey était un personnage un peu difficile à trouver. Parce que je la voyais un peu comme un fantôme. Elle gravite autour de Sarah, mais on ne sait pas vraiment qui elle est. On sent qu'elle fait de l'effet à Sarah, mais en même temps, contrairement à Sarah, elle aime autre chose, en fait, beaucoup de choses dans la vie. Si Sarah préfère la course, Zoey préfère le monde.

De Chloé, j'aime la fibre artistique. J'aime son essence, ses coups de coeur de cinéma. Avant de jouer dans son court métrage Chef de meute, je ne savais pas ce qu'elle avait fait. Mais depuis, j'ai pu constater à quel point elle possède sa vision artistique, sa propre signature.

Photo Ninon Pednault, La Presse

Micheline Lanctôt (entraîneure McGill)

Cette femme entraîneure n'a pas nécessairement une incidence dans l'histoire. Mais elle a une incidence sur le personnage de Sarah. Elle dit peu de choses, mais ce qu'elle dit semble faire bouger le personnage de Sarah. En fait, elle est la personne qui est solide dans l'entourage de Sarah. Car autour de cette dernière, c'est un peu bordélique! Les coachs, je les ai toujours vus comme ça. Ce sont des gens qui ont les idées assez claires.

Comme Chloé, mon premier film, L'homme à tout faire, avait été sélectionné à Cannes (Quinzaine des réalisateurs) en 1980. Alors, je suis enchantée de cette sélection et du succès qu'elle a eu. Je trouve ça formidable! Mais je ne lui ai pas parlé du festival, car je n'aime pas ça. Je ne voulais pas casser son plaisir.

Photo Ninon Pednault, La Presse