L'événement n'a laissé aucun traumatisme grave à la réalisatrice. Mais un souvenir qui, bien des années plus tard, constitue le moteur de son nouveau film, Trois mondes. Quand elle était âgée de 12 ans, Catherine Corsini a été renversée par une voiture. Le conducteur ne s'est jamais arrêté.

«C'est un fait divers banal, a précisé la réalisatrice au cours d'une entrevue accordée récemment à La Presse. Mais cette anecdote m'a quand même servi de point de départ pour élaborer un film bien ancré dans la réalité d'aujourd'hui. Il en va des gens comme des pays: le fossé se creuse de plus en plus entre les riches et les pauvres. J'ai eu envie d'explorer cet aspect des choses à travers une histoire aux accents de film noir.»

Les «trois mondes» du titre sont ceux dans lesquels vivent parallèlement les trois protagonistes du film, qui habitent pourtant la même ville.

Il y a d'abord Al (Raphaël Personnaz), jeune trentenaire dont la route est déjà toute tracée, qui s'apprête à diriger la concession automobile que lui confiera son patron et futur beau-père. C'est en rentrant de son «enterrement de vie de garçon» - bien arrosé, il va sans dire - que le destin frappe. La voiture qu'il conduit percute un piéton. Poussé par ses deux amis d'enfance, Al fuit les lieux sans se retourner.

Ce qu'il ignore, c'est que Juliette (Clotilde Hesme) a tout vu depuis son balcon. Et qu'elle tentera par tous les moyens d'aider Vera, la femme de la victime, une Moldave sans papiers (Arta Dobroshi, héroïne du Silence de Lorna des frères Dardenne).

«Le scénario a été construit de telle sorte que chacun des protagonistes mène l'histoire à un moment, explique l'auteure cinéaste, à qui l'on doit notamment La nouvelle Ève, La répétition (avec Pascale Bussières) et, plus récemment, Partir. C'est un peu compliqué à l'écriture, mais c'est assez jouissif à faire. En plus, cette histoire brasse plusieurs thèmes. Notamment la place qu'occupe l'argent dans nos sociétés. Celui qu'offre Al pour se faire pardonner; celui que souhaite avoir Vera avec les organes de son mari. Il y a aussi notre rapport avec les immigrants. De surcroît, tous ces personnages sont à peu près du même âge. À 30 ans, on tente de trouver sa place, de s'installer, de construire quelque chose d'un peu plus solide. Cette histoire me permettait d'explorer ce genre de thèmes.»

Sur le plan stylistique, Trois mondes emprunte aussi des accents rarement vus jusqu'ici dans le cinéma de Catherine Corsini.

«À mes yeux, chaque film est un pari, dit-elle. Comme une nouvelle exploration, en quelque sorte. J'ai une formation en théâtre. Comme le ferait un acteur qui se fond dans des univers très différents d'un projet à l'autre, j'aime aussi visiter des mondes éloignés les uns des autres. J'ai voulu cette fois m'inspirer du polar et du film noir pour créer des atmosphères. Comme l'ont fait Hitchcock, Melville ou, maintenant, James Gray. Avec ce genre, on peut proposer un film qui fonctionne sur la base du film d'action, tout en explorant des thèmes qui confrontent le spectateur à des choix moraux.»

Une actrice inspirante

«C'est d'ailleurs ce qui m'a attiré à la lecture du scénario, révèle de son côté l'actrice Clotilde Hesme. J'aime quand on peut s'identifier aux personnages et qu'on nous force à nous demander ce que nous ferions si nous étions à leur place. Chacun de ces trois personnages arrive à un tournant de sa vie et se remet en question d'une façon ou d'une autre.»

L'actrice garde un souvenir particulier de ce tournage. Au dernier jour, Clotilde Hesme en était à plus de sept mois de grossesse.

«Au départ, Juliette n'était pas enceinte dans l'histoire, mais Catherine a eu la gentillesse d'inclure cet élément imprévu dans son scénario. C'est un très beau cadeau.»

«À vrai dire, cela a enrichi l'histoire, ajoute Catherine Corsini. Cela a solidifié le lien qui lie Juliette à son compagnon, alors que, jusque-là, ce compagnon n'occupait pas une place très importante dans sa vie. D'autant plus que Juliette partage son appartement avec une amie.»

«Je me suis d'ailleurs posé des questions là-dessus, avance Clotilde Hesme. Une femme qui vit en appartement avec une amie passé le cap des 30 ans? J'ai cru qu'il pouvait y avoir une ambiguïté.

- C'est vrai? Ah ben, ça alors! Tu viens de me donner une idée pour un autre film!», lance la réalisatrice.

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