Le célèbre cinéaste autrichien Michael Haneke aborde dans son nouveau film une réalité qu'on préfère parfois occulter: le deuil appréhendé d'un amour. Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant sont les interprètes sublimes d'un drame traité sans complaisance aucune.

Amour a valu au réalisateur du Ruban blanc une deuxième Palme d'or en trois ans au Festival de Cannes. Depuis, la plus récente offrande de Michael Haneke cumule les lauriers un peu partout dans le monde. Elle s'apprête même à tenir aux États-Unis le même rôle que celui du film iranien Une séparation l'an dernier - c'est-à-dire qu'Amour est en train de ramasser des prix à la pelle auprès des associations critiques et professionnelles américaines. Au point où, alors que les nominations ne sont même pas encore annoncées, il est déjà établi comme le grand favori pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère.

Visiblement, il y a dans Amour un aspect du propos qui touche le spectateur de façon viscérale, même si l'auteur cinéaste demeure fidèle à son approche habituelle, dénuée de sentimentalisme. Et de toute complaisance.

«Je n'ai pas le sentiment d'avoir fait un film plus personnel cette fois, a précisé l'auteur cinéaste au cours d'un entretien accordé à La Presse au Festival de Toronto. Tous mes films le sont. Si l'on ne met pas de soi dans son cinéma, ça ne vaut pas vraiment la peine. Un artiste doit utiliser ses propres expériences pour atteindre une authenticité dans le propos. Cela dit, les films autobiographiques ne m'intéressent pas. Pour Amour, par exemple, je me suis inspiré de ce qu'a vécu une personne de ma famille ayant beaucoup souffert. Mais, à l'arrivée, l'histoire que j'ai écrite n'a rien à voir avec la sienne.»

Cultiver l'inattendu

Jean-Louis Trintignant, qui est sorti de sa retraite cinématographique pour l'occasion, incarne ainsi un vieil homme devant apprendre à se détacher de sa bien-aimée, coincée dans les affres d'une maladie dégénérative. La trop rare Emmanuelle Riva, révélée il y a plus de 50 ans dans Hiroshima mon amour, incarne avec sensibilité et justesse cette femme dont l'esprit s'évapore de plus en plus. Isabelle Huppert interprète la fille du couple. Pendant près de deux heures, le spectateur ne quittera pratiquement jamais l'appartement dans lequel se dénouera un destin qui ne laisse plus guère de note d'espoir.

«Une idée de film n'arrive jamais de la même façon, précise Michael Haneke. Elle peut provenir d'un article dans un journal, d'une image, d'une réflexion. Je ne sais jamais où me mènera l'écriture. J'en suis même parfois surpris. C'est ce que j'apprécie d'ailleurs dans l'exercice. Dans un processus créatif, ce sont ces surprises qui rendent les choses intéressantes. Autrement, on reste dans le domaine du prévisible, voire du banal. C'est la même chose du côté des acteurs. Je suis ravi quand ils proposent des choses que je n'attendais pas. Ce sont des cadeaux!»

La confiance des acteurs

Comme toujours dans le cinéma d'Haneke, la mise en scène d'Amour est marquée d'une extrême précision, d'une rigueur exceptionnelle et de compositions sublimes des acteurs en présence. Réputé exigeant et perfectionniste, Michael Haneke privilégie avant tout le travail avec les acteurs.

«Mes parents exerçaient le métier tous les deux, explique-t-il. Je sais que cette profession est très dure. D'autant plus que les acteurs sont souvent en représentation dans leur propre vie aussi. C'est très stressant à vivre. J'estime que pour obtenir les meilleurs résultats, il faut bien les protéger. C'est ce à quoi je m'emploie pendant un tournage. Quand ils se sentent en confiance, ils peuvent alors laisser tomber la garde et tenter des choses plus inhabituelles. Je peux être très dur avec un technicien, mais rarement avec un acteur. Ce qui ne veut pas dire que je ne suis pas exigeant!»

Lors d'une conférence de presse tenue à Cannes, Jean-Louis Trintignant a d'ailleurs bien fait rire le parterre de journalistes en racontant qu'il avait fallu faire appel à deux pigeons pour une scène dans laquelle on n'en voit qu'un seul. «Michael est tellement exigeant que le premier a craqué!»

Amour prend l'affiche le 11 janvier.

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Jean-Louis Trintignant, parce que c'est Haneke...

En écrivant Amour expressément pour Jean-Louis Trintignant, Michael Haneke a pris un très grand risque. Le mythique acteur, complètement retiré du monde du cinéma depuis 15 ans (il n'avait rien tourné depuis Ceux qui m'aiment prendront le train de Patrice Chéreau), ne lui avait même pas donné son accord au préalable.

«Je savais que Michael avait écrit le scénario en pensant à moi, mais quand j'ai reçu son scénario, je ne voulais pas faire le film, a expliqué récemment l'acteur au cours d'un entretien téléphonique. Je craignais que ce soit trop dur, trop pénible. C'est une histoire tellement triste! Mais aujourd'hui, je ne peux vous dire à quel point je suis heureux de l'avoir fait. Je crois avoir vu Amour six fois - je ne regarde habituellement jamais les films dans lesquels je joue - et certaines subtilités se révèlent encore. J'ai bien fait de surmonter mes réticences initiales, car une proposition de Michael Haneke constitue une chose trop exceptionnelle pour se permettre de passer à côté. Cela ne se refuse pas. C'est d'ailleurs en voyant Caché, il y a quelques années, que je m'étais dit que Haneke serait probablement le seul pour qui je consentirais à tourner de nouveau un film. À mes yeux, il est le meilleur metteur en scène du monde.»

Une approche rigoureuse

Jean-Louis Trintignant admire particulièrement l'approche rigoureuse de l'auteur cinéaste, plus précisément sur le plan du travail avec les acteurs.

«Michael est un homme courageux qui refuse toute concession, fait-il remarquer. Il ne cède jamais. Sous sa direction, on ne peut se relâcher un seul instant, car il détecte immédiatement tout ce qui n'est pas profondément sincère. À vrai dire, je n'avais jamais rencontré de metteur en scène aussi exigeant. Bien entendu, c'est parfois difficile, voire douloureux. Et d'autant plus à cause du sujet que nous abordions.»

Admiratif du travail d'Emmanuelle Riva, l'acteur concède une tendresse particulière pour Isabelle Huppert, qu'il retrouve au cinéma pour une deuxième fois, 30 ans après Eaux profondes (Michel Deville). «J'adore Isabelle, dit-il simplement. Nous nous entendons très bien.»

À Cannes, Jean-Louis Trintignant a par ailleurs déclaré qu'Amour était son tout dernier film. Et que jamais plus il ne ferait de cinéma. Quelques mois plus tard, l'affirmation semble un peu moins définitive. «Si Michael voulait encore faire appel à moi, j'avoue que je me laisserais probablement tenter de nouveau.»

Photo: Reuters

Jean-Louis Trintignant