David Chase a rêvé d'être rockeur, puis de faire du cinéma. Jamais de la télévision. Il en a pourtant changé le visage en créant The Sopranos. Rencontre avec celui qui, à 67 ans, réalise son premier long métrage, Not Fade Away, qu'il a bien sûr aussi écrit.

D'entrée de jeu, David Chase, que La Presse a rencontré à Toronto, met cartes sur table: «Pour chaque Rolling Stones, il y a un ou deux millions de groupes qui ne le sont pas.» C'est-à-dire qui ne deviennent pas célèbres ou n'enregistrent jamais de disque. C'est l'histoire d'un de ces groupes que le créateur de The Sopranos a voulu raconter dans Not Fade Away - titre de la chanson de Buddy Holly reprise avec un immense succès par les Rolling Stones, justement. Ce n'est pas un hasard: il aime profondément le groupe anglais.

À l'adolescence, il a même fait partie d'une formation «qui n'a jamais donné de spectacle ailleurs que dans le sous-sol où on répétait». Il jouait de la batterie. Point. Ses copains, de la guitare. Re-point. Pas de découverte. Pas d'ascension. Pas de vie sex, drugs and rock'n'roll. Et c'est sur cette histoire d'une formation de garage - qui le restera - que David Chase s'est penché.

Son intention n'était pas d'écrire et de réaliser un autre Almost Famous ou un film de plus sur les années 60, leurs manifestations contre la guerre du Vietnam et leurs mouvements sociaux. «Il n'a jamais été question pour moi de montrer Jimi Hendrix jouant notre hymne national à Woodstock. Ça a déjà été fait.»

Ce qui a moins été fait, c'est ce qui l'intéressait. Il est donc retourné dans le New Jersey où il a grandi - qui est aussi celui de Tony Soprano. Il a planté sa caméra «dans une petite ville où résonnent, mais de loin, ces grandes choses qui passeront à l'histoire», chez une famille ordinaire dont le fils, Douglas (John Magaro), fait partie d'un groupe d'aspirants rockeurs. Ce qui ne fait pas le bonheur de son père, Pat. Pour ce rôle, David Chase a renoué avec James Gandolfini, qu'il avait perdu de vue depuis la fin de The Sopranos, en 2007.

«Je n'étais pas satisfait de ce que j'écrivais. Les scènes ne levaient pas, ne "sortaient" pas du papier. C'est lorsque j'ai "vu" Jim dans la peau de Pat que tout est devenu clair. J'ai trouvé le ton du film dans le côté tranchant de cette relation père-fils», explique David Chase, qui s'est inspiré ici de sa relation avec son propre père. Pas dans les situations, mais dans la manière, le sentiment qui reste, des décennies plus tard. Il en va ainsi de tout le film, autobiographique dans son esprit davantage que par les événements décrits.

L'ami Steven Van Zandt

Un film que tout le monde lui déconseillait de faire. «Steve me voyait écrire un autre No Country For Old Men», dit David Chase en riant. Steve étant Steven Van Zandt, celui du E Street Band de Bruce Springsteen, celui qui a incarné Silvio Dante dans The Sopranos, celui qui agit à titre de producteur délégué et directeur musical de Not Fade Away.

Il a ainsi participé au casting des acteurs qui allaient incarner Douglas et ses amis (Jack Huston et Will Brill), puis à leur formation musicale («aucun des trois ne savait jouer de la musique, mais il s'est avéré qu'ils étaient doués», note David Chase), avant de superviser leur «attitude» sur scène - puisqu'il y a une manière rock'n'roll d'être sous les projecteurs, et qu'il la connaît.

Il la connaît d'ailleurs mieux que le réalisateur qui, ses rêves de rockeur mis au rancart, est entré à l'école de cinéma avant de se retrouver à faire de la télévision. «Ça n'avait jamais été mon rêve, mais j'ai eu la chance de travailler avec des gens extrêmement talentueux.» Qui lui ont permis d'accoucher de The Sopranos, série qui, selon plusieurs, a changé le visage du petit écran.

«J'ai écrit la série que j'aurais aimé voir. Mais je pense qu'elle a ouvert la voie à d'autres en montrant aux réseaux qu'il pouvait être bon de prendre des risques», affirme le scénariste. Pendant les 10 années qu'a duré cette aventure, David Chase a écrit plusieurs scénarios de longs métrages, avec l'intention de les porter lui-même à l'écran un jour. Mais rien ne le satisfaisait vraiment, avant Not Fade Away - qui partage avec The Sopranos une finale controversée. Une fin ouverte - arbitraire, selon plusieurs. Dans la continuité artistique de tout ce qui la précède, selon le principal intéressé.

Pour le film, David Chase a testé plusieurs idées pour ses dernières images. Pour The Sopranos, c'était très clair: «Ça a été très intéressant de voir le nombre de personnes qui ont été en colère à cause de cette finale, mais je ne me suis jamais remis en question», assure-t-il avec une telle confiance tranquille qu'il est impossible de ne pas le croire.

Not Fade Away prend l'affiche le 4 janvier.

Les frais de voyage ont été payés par Paramount Pictures.