Dans le coin droit, un acteur d'un charisme fou. Dans le coin gauche, un réalisateur et dramaturge qui manie l'humour très noir et la violence rouge sang comme pas un. Quatre ans après In Bruges, en nomination pour sept Oscars, Colin Farrell et Martin McDonagh nous présentent Seven Psychopaths.

«Seven Psychopaths, avec ses différents niveaux de réalité et ses scènes d'action, est un vrai casse-tête cinématographique.»

- Martin McDonagh

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L'anecdote est vraie. Un couloir d'hôtel à Toronto, en plein Festival international du film. Les journalistes passent d'un étage à l'autre, enchaînant les entrevues et les conférences de presse. Les publicitaires, agents et autres membres de l'entourage des vedettes s'échinent à satisfaire les besoins de leurs poulains. Résultat: les ascenseurs ne fournissent plus.

Côté impatience, ça bout. Et soudain, émoi (discret mais palpable) au sein de la gent féminine. Colin Farrell apparaît dans le couloir. Comme par enchantement, l'impatience baisse d'un cran. Peut-être même de douze. Que les ascenseurs prennent le temps qu'ils veulent. Il y a quelqu'un de pressé, ici? Plus maintenant. L'acteur irlandais presse alors le bouton. Et... «ping»! Les portes s'ouvrent. Immédiatement. Déception parmi ces dames. En plus, l'ascenseur est vide. Un autre miracle. Mais pas question, donc, de s'agglutiner autour de la star.

C'est «l'effet Farrell». Toujours le même, que l'on se trouve à Los Angeles ou à New York, où La Presse l'a rencontré à quelques reprises en table ronde. Ou à Toronto, en... tête-à-tête-à-tête, puisque l'interview se faisait en compagnie du réalisateur, scénariste et dramaturge anglais Martin McDonagh. Les deux hommes refont en effet équipe après nous avoir donné le formidable In Bruges en 2008 - qui a été en nomination pour sept Oscars (dont celui du Meilleur scénario original) et pour lequel Colin Farrell a reçu son premier Golden Globe.

Comédie d'action aussi noire d'humour que rouge (sang) en violence, Seven Psychopaths met en scène Marty, scénariste fasciné par le titre du scénario qu'il est en train d'écrire: Seven Psychopaths. Le hic, c'est que c'est la seule chose qu'il a couchée sur papier. Et sa date de tombée est déjà passée. Son meilleur ami, Billy (Sam Rockwell), tente de l'aider. Sans succès. Et même pire. Ainsi, son associé (Christopher Walken) et lui font une gaffe aux proportions cataclysmiques, qui va nuire à tous les proches. Spécialistes en enlèvement de chiens (!) - ils remettent les pitous chéris à leurs propriétaires dès que ceux-ci annoncent une récompense -, ils «dognappent» accidentellement le Shih Tzu adoré d'un gangster instable (Woody Harrelson). Parallèlement à cela, toujours bien intentionné, Billy publie une petite annonce: «Psychopathes recherchés». Après tout, si Marty ne parvient pas à imaginer des fous, la réalité l'inspirera peut-être. Entrée, ici, de Tom Waits.

Autant de noms qui laissent croire que le plateau de ce film tourné à Los Angeles et dans le Joshua Tree National Park devait être du genre impossible à gérer. «Pas du tout! Le seul qui faisait le difficile, c'est le chien», rigole Martin McDonagh qui a écrit ce scénario avant celui d'In Bruges. «Mais je n'avais pas assez confiance en moi pour que ce soit ma première réalisation: Seven Psychopaths, avec ses différents niveaux de réalité et ses scènes d'action, est un vrai casse-tête cinématographique», explique le réalisateur qui, avant In Bruges, avait fait ses preuves comme dramaturge et, à ce titre, remporté de nombreux prix.

Quand il s'est senti prêt à faire plus gros, plus fou pour le grand écran, il a (re) joint Colin Farrell pour interpréter Martin, dit Marty, son alter ego de prénom... et un peu plus. «Marty, c'est un genre de complément de Martin. Il y a de lui dans le rapport à l'écriture et dans l'imagination du personnage, mais il a ajouté des clichés anglais... qu'il a "irlandisés" pour moi, et une grosse couche de fiction», résume Colin Farrell qui a rencontré le réalisateur il y a une dizaine d'années, dans un bar de Londres.

«J'aime l'homme et j'aime son oeuvre. J'aime sa manière de prendre le travail au sérieux sans se prendre lui-même au sérieux. J'aime combien tout est facile avec lui», poursuit celui qui a autrefois été un cas - on se souvient de ses problèmes avec l'alcool et les drogues -, mais qui a pris les choses en main, dans sa vie personnelle comme professionnelle. À preuve: il est à présent assez sollicité pour pouvoir choisir ses projets. «C'est un luxe incroyable dans ce métier», reconnaît-il.

«Oui, je suis gâté, ajoute-t-il. Mais en même temps, c'est une responsabilité que de faire des choix. Quelle histoire ai-je envie de raconter? Quel film est-ce que je veux vraiment faire? C'est une conversation que j'ai de plus en plus avec moi-même.» Et ce qu'il se dit à lui-même? Par exemple, après le tournage de Triage, drame très noir où il incarne un photographe de guerre qui vit des choses très dures, il avait besoin de légèreté. «Quand on m'a proposé de jouer un vampire dans Fright Night, ç'a été un oui immédiat. Puis, Horrible Bosses a surgi, et là aussi, ç'a été oui.» Pour exercer son muscle «action», il a ensuite passé quelques mois à Toronto afin de tourner Total Recall.

Bref, il aime varier les plaisirs? Ne pas formuler la chose ainsi si rougir ne vous va pas bien au teint. Mais bon, oui, il aime: «Travailler après s'être ennuyé d'un genre cinématographique, d'un réalisateur, d'une équipe donne de bons résultats.» Pour lui, il était donc plus qu'agréable de revenir à l'univers de Martin McDonagh. Cette fois pour, entre autres choses, jeter un regard mordant sur Hollywood. Hollywood le leur pardonnera-t-il? «On verra, sourit le réalisateur. Mais ce n'est pas un problème pour moi: je n'ai jamais rêvé d'avoir une carrière.»

Trop tard, M. McDonagh. C'est déjà fait. Et c'est tant mieux.

Seven Psychopaths prend l'affiche le 12 octobre.