Documentariste et directeur photo émérite, Michel La Veaux a tenu à immortaliser dans son nouveau film l'oeuvre de Jean-Claude Labrecque, tout autant que l'homme, les deux étant indissociables. Ce faisant, il rend hommage à tout un pan de l'histoire du cinéma québécois.

Jean-Claude Labrecque a éclairé - et aussi réalisé lui-même - un nombre impressionnant de films au fil d'une carrière qui s'étale maintenant sur plus de cinq décennies. Il y a deux ans, Michel La Veaux a été appelé à dire quelques mots à propos de cet homme qu'il admire lors d'une soirée hommage organisée dans le cadre des Rendez-vous du cinéma québécois.

« En m'adressant au public, je me suis rendu compte, là, sur place, en parlant, qu'il fallait impérativement faire un film sur Jean-Claude afin que les gens puissent découvrir à quel point son oeuvre est immense, explique celui qui compte aussi quelques réalisations à son actif, parmi lesquelles Hôtel La Louisiane.

« Sans les films de Jean-Claude, une partie de la mémoire du Québec serait disparue à jamais. »

UN ARCHIVISTE

Le réalisateur d'À hauteur d'homme, un film pour lequel Bernard Landry a été suivi pas à pas pendant les trois derniers mois de sa vie de premier ministre, se définit lui-même comme un archiviste. Il suffit de consulter les grandes lignes de sa filmographie pour constater à quel point il s'est consacré avec bienveillance à dresser des portraits de personnalités, ou à filmer pour la postérité des événements marquants de l'histoire récente du Québec. Félix Leclerc, Claude Gauvreau, Gaston Miron, Marie Uguay, André Mathieu, Claude Léveillée et plusieurs autres personnalités ont eu droit à son attention. 

Son acharnement à vouloir archiver des moments importants de l'histoire a souvent porté ses fruits, notamment pour La visite du général de Gaulle au Québec.

C'est aussi à lui qu'a été confiée la tâche de réaliser et de superviser le film officiel des Jeux de la XXIe Olympiade, tenus à Montréal en 1976. Pas moins de 180 personnes ont alors travaillé sous sa direction. Et puis, sa caméra a capté la mythique Nuit de la poésie du 27 mars 1970, celle où Michèle Lalonde a livré son retentissant Speak White (repris récemment par Robert Lepage dans sa pièce 887).

« Imagine-t-on la perte si Jean-Claude n'avait pas été là pour filmer ça ? En élaborant mon film, j'ai pris conscience de l'importance de tous les petits trésors que contient son oeuvre. »

- Michel La Veaux

« Sans Jean-Claude, le poème de Michèle Lalonde n'aurait sans doute pas eu le même écho. En revoyant tout ça, j'ai eu l'impression d'avoir un accès privilégié à un mouvement collectif qui a emporté tout le Québec à l'époque. Aujourd'hui, l'histoire passe davantage par les individus que par le mouvement. »

UNE ÉPOQUE EN ÉBULLITION

Jean-Claude Labrecque a commencé sa carrière de directeur photo et de cinéaste à l'Office national du film en pleine Révolution tranquille. « Il s'en passait des choses ! », dit-il sur un ton qui laisse deviner un soupçon de nostalgie. 

Quand on lui demande ce qu'il aurait envie de filmer de la société actuelle et ce qu'il aimerait archiver du Québec d'aujourd'hui, le cinéaste vétéran, qui deviendra octogénaire cette année, se montre plutôt perplexe.

« Franchement, rien. Si je tournais un nouveau film, je préférerais m'intéresser à des pans d'histoire de Québec, ma ville, le pensionnat de Saint-Louis-de-Gonzague, par exemple. Sinon, je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j'ai le sentiment qu'il n'y a plus d'enthousiasme nulle part. J'ai l'impression que tout le monde s'écrase, que tout le monde a peur, qu'on vit une espèce de période morose et triste. Mais c'est peut-être moi, remarquez ! »

LA BONNE IMAGE

Avec Michel Brault, Jean-Claude Labrecque a contribué à façonner les images du cinéma québécois des années 60, notamment en éclairant À tout prendre (Claude Jutra) et Le chat dans le sac (Gilles Groulx), les deux plus grands premiers longs métrages de fiction de l'histoire du cinéma d'ici. Labrecque, une caméra pour la mémoire évoque aussi le rapport physique et intime que l'éminent directeur photo entretient avec une caméra.

« Il faut que tu cadres bien afin que ton image soit humaine et sincère, explique Jean-Claude Labrecque. Il faut aussi être amoureux des gens que l'on filme, passer du temps avec eux avant le tournage et leur faire savoir que tu les aimes. Et puis, on fonctionne beaucoup à l'instinct. »

Michel La Veaux, lauréat du Jutra de la meilleure direction photo en 2014 grâce à son travail sur Le démantèlement (Sébastien Pilote), affirme devoir à ces aînés l'apprentissage de cet instinct et de la bonne valeur de plan.

« Labrecque et Brault nous ont appris à faire des images justes, fait-il remarquer. Pour être juste, il faut trouver la bonne distance avec la personne que l'on filme. Une bonne image est aussi celle où tu t'impliques parce que la personne t'a autorisé à t'approcher d'elle. Un rapport est alors établi, au-delà de la technique. »

« Labrecque et Brault sont des experts qui nous ont appris à nous impliquer, à gagner la confiance des personnes afin de pouvoir établir un rapport vrai avec elles. »

- Michel La Veaux

« Une bonne image n'est pas toujours belle, cela dit. Elle peut être esthétiquement moins cute, mais plus juste et plus forte dramatiquement. »

NULLE PART AILLEURS

Le cinéma québécois ayant beaucoup évolué, les plus jeunes cinéastes ont aujourd'hui des possibilités professionnelles sur le plan international que n'avaient pas leurs aînés. Même s'il les avait eues, Jean-Claude Labrecque estime que sa place est ici, et nulle part ailleurs.

« La plus jeune génération est parvenue à trouver un public plus large que le nôtre - c'est une belle réussite - et le cinéma se pense différemment maintenant. Si on m'avait donné l'occasion d'aller travailler ailleurs, je ne crois pas que j'y serais allé. Être né à Québec, c'est être né dans une ville historique dont on peut tirer des archives très riches. Je reste toujours très habité par ça. »

Labrecque, une caméra pour la mémoire prendra l'affiche le 12 janvier.

Crédit : ONF

Jean-Claude Labrecque

Photo Olivier PontBriand, Archives La Presse

Michel La Veaux et Jean-Claude Labrecque