Plus que jamais, le cinéma d'ici, qui a plusieurs fois adapté ses classiques, s'intéresse à la littérature québécoise contemporaine.

« Cette année, c'est remarquable », nous dit Odile Méthot, présidente du fonds Harold Greenberg, qui finance les scénarios et les projets d'adaptation. C'est souvent la première porte où les producteurs vont frapper pour obtenir le financement permettant de prendre une option sur un roman, ce qui est le début d'un long processus jusqu'à la réalisation. « Quand nous avons démarré notre volet prises d'option en 2002, 2003, nous avions environ six demandes par année, avec des fluctuations. Depuis cinq ans, c'est stable, avec un minimum de 10 demandes d'options. »

Pascal Assathiany, directeur général des éditions du Boréal, confirme un intérêt accru des maisons de production pour ses livres. Les romans de Robert Lalonde, Gaétan Soucy, Alexandre Soublière, Michèle Ouimet et Katia Gagnon, par exemple, ont fait l'objet d'options, et certains sont en cours de réalisation. « Nous avons quelqu'un qui travaille à temps plein là-dessus, Sandra Gonthier, qui est en contact avec les producteurs et les réalisateurs, explique-t-il. Chaque fois que nous avons des nouveautés, elle leur envoie des informations. » 

« Peut-être qu'une nouvelle génération a identifié dans la littérature québécoise quelque chose qui la touche, qu'il y avait là une source d'idées, d'histoires, de climats qui font qu'elle s'y intéresse. Il y a beaucoup plus d'options qu'avant, c'est sûr. Nous avons une dizaine de livres sous option en ce moment », ajoute Pascal Assathiany.

L'éditeur croit aussi que cette explosion des options sur les romans est due à la multiplication des maisons d'édition et des maisons de production dans la dernière décennie. « D'aussi loin que je me souvienne, nous étions proches des cinéastes, les Godbout, Arcand, Mankiewicz, Frappier, mais à l'époque, à la fois dans le cinéma et dans le milieu de l'édition, il y avait beaucoup moins d'offres. Sauf que les choses qui étaient entamées allaient plus souvent et plus systématiquement à terme. Il y a plus d'options aujourd'hui, oui, mais est-ce qu'il se tourne plus de films ? Je ne pense pas. »

Il faut le souligner : entre la prise d'option et la réalisation, le chemin est long au Québec. La plupart des écrivains heureux d'apprendre qu'un cinéaste désire adapter leur roman ne verront jamais le film se faire ou devront parfois attendre des années avant de voir le résultat sur écran. Pascal Assathiany cite en exemple La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaétan Soucy, tourné actuellement par Simon Lavoie, qui aura pris près d'une décennie à voir le jour au cinéma, tandis que C'est le coeur qui meurt en dernier de Robert Lalonde, publié en 2013, prendra l'affiche en 2017, réalisé par Alexis Durand-Brault.

La décennie 80, un sommet

Selon Yves Lever, historien du cinéma québécois, les années 80 ont été un sommet de l'adaptation cinématographique. « Rappelez-vous, il y a eu Les Plouffe, Maria Chapdelaine, Le Matou, Les fous de Bassan, À corps perdu, Bonheur d'occasion, Le dernier havre, Le sourd dans la ville, Mario, etc. On a aussi vu régulièrement annoncés des projets d'adaptation de Prochain épisode de Hubert Aquin ou de Menaud, maître-draveur de Félix-Antoine Savard, mais ça ne s'est jamais fait. C'était une période où on voulait amener au cinéma les classiques de la littérature. »

Rappelons qu'il y a eu un regain d'intérêt dans les années 2000 pour les classiques, avec les Séraphin, Aurore et Le Survenant, par exemple. Mais, outre Pieds nus dans l'aube de Félix Leclerc, qui sera adapté par son fils, Francis Leclerc, ce qu'il y a de particulier en ce moment est cet échange entre le cinéma et une littérature récente.

« Pourquoi fait-on une adaptation d'une oeuvre littéraire ? demande Yves Lever. C'est qu'on trouve dans l'oeuvre des ressorts dramatiques et des personnages qui valent la peine de construire un autre récit. Mais aussi, on bénéficie de la réputation de l'oeuvre. Cela dit, je pense que les meilleurs films québécois sont ceux qui ont des scénarios originaux. »

« Les grands classiques, c'est forcément rassembleur, parce que tout le monde les connaît et ça peut être rassurant pour un producteur, pense Odile Méthot. On est curieux de voir comment ç'a été adapté à la mode d'aujourd'hui. Quand ce sont des oeuvres récentes, c'est moins connu, mais il y a moins de pression, c'est leur avantage. »

Rencontres d'imaginaires

L'éditeur Antoine Tanguay, de la maison Alto, confirme lui aussi une augmentation certaine des demandes d'options pour ses romans. « Il y a même un producteur qui m'a appelé un jour pour me dire qu'il tripait sur mes livres et qui me demandait de les lui envoyer. » Chez lui, ce sont les romans Tarmac de Nicolas Dickner, Le mur mitoyen de Catherine Leroux, Griffintown de Marie Hélène Poitras, Le Christ obèse et L'orangeraie de Larry Tremblay qui ont séduit les producteurs et cinéastes, de même que Du bon usage des étoiles de Dominique Fortier, avec lequel Jean-Marc Vallée rêve de faire de grandes choses.

« L'un des projets les plus excitants est l'adaptation du roman Les frères Sisters de Patrick deWitt, par Jacques Audiard, qui tourne avec John C. Reilly et Joaquin Phoenix. Ça s'enclenche dans les prochaines semaines. Je vais voir un effet sur les ventes du livre, je pense. »

Car oui, le dialogue n'est pas forcément que créatif. Il est aussi une question d'affaires. Un roman populaire attirera des lecteurs curieux vers les salles de cinéma, tandis qu'un film qui connaît le succès peut relancer la vie d'un roman. « C'est très bénéfique pour les deux, dit-il. Nous sommes à une époque où il faut favoriser une relation transversale entre les arts. Ces gens-là travaillent de plus en plus ensemble, on reconnaît plus les créateurs qui sont en littérature. Nous sommes cantonnés dans un réseau qui bénéficie d'une mince couverture médiatique, contrairement au cinéma, alors l'un bénéficie de l'apport de l'autre. » 

« Je remarque que les producteurs sont plus intéressés par les catalogues des éditeurs, et c'est un juste retour des choses, car on reconnaît la force de l'imaginaire des auteurs contemporains. La vivacité de cet imaginaire leur a ouvert les yeux sur un matériel assez incroyable », ajoute Antoine Tanguay.

Le seul risque, finalement, de ces prolifiques échanges, est que les écrivains soient attirés par « le côté obscur de la force », puisqu'il y a beaucoup plus d'argent à faire pour un auteur du côté du cinéma ou de la télévision que dans le monde de l'édition. « C'est évident que certains romanciers se font happer par le cinéma, note Pascal Assathiany. Le milieu du cinéma identifie les auteurs qui écrivent bien et il s'en sert pour des contrats de scénario. Je pense à Guillaume Vigneault ou Stéphane Bourguignon, par exemple. Et le retour au roman est souvent teinté par ce passage. Les écrivains doivent vivre, et c'est rare qu'ils vivent de leurs livres. Ce sont des métiers annexes au métier de romancier. »

Et si les cinéastes sont si intéressés par la littérature de leurs contemporains, c'est probablement parce que cette génération d'écrivains est assurément celle des enfants de la télé et du cinéma.

Photo  OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Sophie Nélisse sur le plateau du film Et au pire, on se mariera

Image fournie par Alto 

Les frères Sisters de Patrick deWitt

Qu'est-ce qu'une option ?

Une option est une somme que débourse à un éditeur une maison de production ou un réalisateur pour réserver l'adaptation d'un roman. Selon Odile Méthot, du Fonds Harold Greenberg, qui finance ces projets, le montant d'une option tourne autour de 5000 $. Une fois l'option prise, personne d'autre ne peut adapter le roman, mais compte tenu des délais de financement et de production, il faut souvent renouveler l'option, qui dure entre 12 et 18 mois, ce qui coûte environ 2000 $ chaque fois. Lorsque le projet est sur les rails, on passe à l'achat des droits du roman. C'est à ce moment-là que l'écrivain voit les avantages financiers de l'adaptation, encore plus s'il travaille à l'écriture du scénario.