Dans 1:54, l'un est l'intimidé ; l'autre est l'intimidateur. Antoine Olivier Pilon a gagné un prix d'interprétation au Festival du film francophone d'Angoulême; Lou-Pascal Tremblay s'est fait huer. Mais ne comptez pas sur ces deux amis pour regretter quoi que ce soit.

Les points communs entre Antoine Olivier Pilon et Lou-Pascal Tremblay sont nombreux. Ils font tous deux partie de cette génération de jeunes comédiens qui s'imposent dans les plus importantes productions. L'un, âgé de 19 ans, fut révélé au cinéma grâce à Frisson des collines (Richard Roy) pour ensuite confirmer son talent dans Les Pee-Wee 3D (Éric Tessier) et, surtout, Mommy (Xavier Dolan).

L'autre, âgé de 21 ans, a fait sa marque dans des séries télé à succès (Apparences, 30 vies, Jérémie). Des dizaines de milliers d'admirateurs les suivent sur les réseaux sociaux. Antoine Olivier et Lou-Pascal partagent aussi une véritable amitié dans la vie. Pour les besoins de 1:54, le premier long métrage de Yan England à titre de réalisateur, ils ont pourtant dû nourrir une rivalité.

Le scénario du film est en effet construit autour de l'histoire de Tim (Antoine Olivier Pilon), un jeune homme de 16 ans, bon coureur, qui vit isolé dans son milieu scolaire. Ce dernier s'inscrit à une compétition de course afin de rivaliser avec Jeff (Lou-Pascal Tremblay), champion de l'épreuve du 800 m, qui fait aussi partie d'un groupe avec lequel Tim a maille à partir depuis un bon moment...

Conversation à bâtons rompus avec deux des jeunes vedettes les plus populaires du moment au Québec.

Q : Lou-Pascal, c'est la première fois que vous tenez le rôle d'un personnage antipathique. Avez-vous hésité ? Pensez-vous décevoir vos admiratrices et admirateurs ?

LPT : Au contraire ! J'ai sauté sur l'occasion ! J'ai voulu ce rôle-là comme rarement j'ai voulu un rôle. Tout le monde s'arrête habituellement à mon casting habituel de petit gars charmeur, beau gosse et tout. Je voyais cette opportunité comme un défi, une montagne à gravir. Et Antoine est tellement un ami que ça a été le fun de créer ça avec lui, de me faire croire méchant alors qu'il n'y a pas une once de méchanceté en moi. J'ai adoré ça !

Q : Il paraît que le public vous a hué au Festival d'Angoulême. Cela ne vous a pas déstabilisé ?

LPT : Tant mieux, ça veut dire que j'ai bien fait mon travail. Des femmes sont venues me voir après en disant : toi, je te déteste ! Et comme je ne suis pas du tout connu là-bas, ça m'a quasiment fait plaisir. J'ai l'impression que d'autres portes vont s'ouvrir maintenant.

Q : Antoine Olivier, au-delà de la course, le film aborde aussi des thèmes très chargés, très lourds. Y a-t-il eu hésitation de votre part, même en sachant que Yan England avait écrit le rôle en pensant à vous ?

AOP : Ça m'a pris une semaine avant de me décider, car il y avait dans le scénario des scènes avec lesquelles j'étais moins à l'aise, qui n'ont finalement pas été tournées parce que non nécessaires. J'étais très attiré par les scènes de course par contre. J'ai besoin qu'on me pousse pour m'entraîner.

Q : Le film a été tourné dans une véritable école, avec les vrais étudiants qui la fréquentent...

AOP : Je ne savais même pas qu'on allait tourner devant des milliers d'étudiants dans une école publique ! Ce n'était pas écrit dans le scénario et Yan ne nous l'a pas dit. C'était aussi bien comme ça parce que c'est presque une phobie pour moi de travailler devant autant de personnes. Non mais je suis qui, moi, pour me pointer dans une école avec une caméra en face, un micro au-dessus et des gens qui me maquillent ? J'étais super mal à l'aise ! J'ai toujours connu des tournages où je pouvais me mettre chum avec tout le monde. Là, ce n'était pas possible. C'était un gros point négatif pour moi, mais aujourd'hui, je suis vraiment très heureux parce que ça m'a permis de combattre cette phobie-là. Yan a très bien fait, finalement !

LPT : En fait, il nous a mis un autre défi en nous plantant au milieu de 1200 jeunes qui ne savent pas nécessairement qu'on tourne une scène. Alors si on se bagarre, il y a des gens autour qui ne sont pas sûrs de comprendre ce qui se passe. Et toi, tu dois jouer sur le même niveau qu'eux, au plus près de leur vérité, de leur authenticité. Tu ne peux pas détonner comme acteur.

AOP : Moi, je me suis fait pitcher des affaires dans les jambes parce qu'on voulait me faire tomber ! Et tu ne peux pas sortir de ton personnage. No way que j'irai voir le gars en lui disant : heille !

LPT : C'était fou parce que Yan voulait qu'on soit vraiment habités par nos personnages du matin au soir. Il voulait qu'on s'appelle Tim et Jeff, même quand on ne tournait pas. Il ne voulait pas qu'on se voie le week-end non plus pour que cette tension-là reste. Comme j'incarnais le méchant, je ressentais l'autorité du personnage dans l'école. Antoine, lui, ressentait vraiment ce que ressent quelqu'un qui se fait intimider.

AOP : Ça se voyait à la façon dont je me traînais, dont je m'habillais. Les gens avaient vraiment l'impression que la porte était grande ouverte. Parce que c'est ce que je dégageais.

Q : La première fois que vous avez pu voir le film, quelle a été votre réaction ?

AOP : C'était au visionnement d'équipe. Il y a eu un bon 10 minutes de silence après le générique. Personne n'osait dire le premier mot. On était tous sous le choc. En lisant le scénario, je savais que ça allait frapper, mais je ne m'attendais vraiment pas à ça.

LPT : Je l'ai vu un autre jour, après. À la fin, Yan est venu me voir en demandant : pis, pis, pis ? Je n'étais même pas sûr d'avoir aimé ça, en fait. Parce que 1:54 n'est pas un film aimable. Il ne laisse pas indifférent. C'est ce qui en fait la force et la beauté.

1:54 prendra l'affiche le 13 octobre.

Yan England en quête d'authenticité

Cité aux Oscars il y a trois ans grâce à son court métrage Henry, Yan England a abordé dans 1:54, son premier long métrage à titre de réalisateur, deux de ses plus grands sujets d'intérêt : la compétition sportive et le milieu scolaire.

« Je baigne dans la compétition sportive depuis que je suis tout petit, explique-t-il. Que ce soit en athlétisme, au tennis ou en natation. J'ai toujours voulu raconter une histoire à ce propos parce qu'il y a, d'un côté, la notion du dépassement de soi, ce qui est très beau, mais aussi, de l'autre, la rivalité avec les autres. Puis, il y a l'univers scolaire. En tant que comédien dans des émissions jeunesse, j'ai pu côtoyer ce milieu-là de très près. Ce qui s'y passe m'intéresse. De la même façon qu'Henry n'était pas un film sur la maladie d'Alzheimer, 1:54 n'est pas un film sur l'intimidation. Je ne voulais surtout pas être moralisateur ni donner de réponses.

« L'école, poursuit Yan England, est une microsociété à laquelle les parents n'ont pas accès. Et à laquelle les enseignants ont très peu accès aussi. J'ai tenté de recréer ce milieu de la façon la plus authentique possible en tournant le film dans une véritable école publique, au milieu de 1200 étudiants qui sont eux-mêmes. Tant mieux si tout cela suscite une discussion, mais je ne veux pas imposer quoi que ce soit. »