Anaïs Barbeau-Lavalette, Mathieu Denis, Hugo Latulippe et Philippe Falardeau font partie des cinéastes qui, d'une certaine façon, ont pris le relais de leurs aînés, même si leur démarche est très différente. Ils réfléchissent sur la place du cinéma politique au Québec.

Anaïs Barbeau-Lavalette

Le ring, Se souvenir des cendres - Regards sur Incendies, Inch'Allah.

Auteure du roman La femme qui fuit. 

Film favori: Les ordres (Michel Brault)

«Aujourd'hui, on se questionne autrement. Comme jeune femme, être humain, mère, cinéaste et créatrice, j'ai plus que jamais besoin de ce questionnement. Faire un film politique, c'est réfléchir sur nous, se raconter. Quand Chloé Leriche réalise un film comme Avant les rues, elle pose un geste politique. L'impact du cinéma n'est peut-être plus le même qu'il y a 40 ou 50 ans, mais j'ai l'intime conviction qu'un film peut encore avoir une résonance immense dans la vie intérieure d'un individu, que le cinéma peut encore bousculer des vies, faire radicalement changer des trajectoires. Je crois que les gens ont plus que jamais un appétit pour le sens. Je rêverais d'un film comme Intervention divine d'Elia Suleiman au Québec. Avec ce type de regard sur notre réalité.»

Mathieu Denis

Laurentie (en coréalisation avec Simon Lavoie), Corbo. En compagnie de Simon Lavoie, il vient de terminer le tournage de Ceux qui font la révolution à moitié n'ont fait que se creuser un tombeau, inspiré de la crise sociale de 2012. 

Film favori: Le chat dans le sac (Gilles Groulx)

«Les combats politiques sont moins clairs aujourd'hui qu'ils ne l'étaient dans les années 60 et 70. Cinquante ans plus tard et deux échecs référendaires retentissants derrière nous, nous sommes plongés dans un marasme pas possible. Cela dit, les Québécois francophones ne sont plus dans un état d'oppression ni dans un sentiment d'urgence de dénoncer. Je crois aussi qu'il vaut toujours mieux prendre un peu de recul avant de faire écho à des événements récents. Il faut aussi trouver un moyen pour que les films soient vus. En tant qu'objets artistiques, leur impact ne change pas auprès du spectateur individuel, car la puissance d'évocation reste la même. Mais toute oeuvre d'art n'existe qu'à partir du moment où elle est confrontée à ce regard. Les films politiques les plus intéressants sont ceux qui te laissent le choix de réfléchir, non pas ceux qui pensent à ta place.»

Photo André Pichette, Archives La Presse

« Les films politiques les plus intéressants sont ceux qui te laissent le choix de réfléchir, non pas ceux qui pensent à ta place », soutient Mathieu Denis.

Hugo Latulippe

Concurrent à La course destination- monde (1994-1995). Bacon, le filmCe qu'il reste de nousAlphée des étoiles. Concepteur de 25 x la révolte!, exposition présentée au Musée de la civilisation à Québec. 

Film favori: Pour la suite du monde (Pierre Perrault et Michel Brault)

«Nous faisons partie d'une génération de cinéastes qui jouent de façon ludique avec le cinéma. On vit aussi une époque plus lisse. Au théâtre, il existe pourtant une activité politique importante, beaucoup plus qu'au cinéma. Je crois que les artistes plus jeunes vont prendre d'assaut les places publiques en empruntant toutes les formes d'art, après des années de grand vide. On ne peut plus aborder la question d'identité nationale dans l'axe du francophone opprimé ni seulement à travers la question linguistique. Si on veut faire un pays différent, il faut l'aborder dans toute sa largeur, sur tous les fronts. Les grandes oeuvres font leur chemin. Il faut viser le grand cinéma et le cinéma documentaire peut en faire partie. Il a d'ailleurs accompagné le mouvement social qui a construit le Québec moderne, autant que la chanson populaire!»

Photo Jean-Marie Villeneuve, Le Soleil

L'expo 25 x La révolte! offre un point de vue assumé, celui d'un auteur, Hugo Latulippe, qui se range, sans le claironner, en faveur d'une politique économique plus juste, d'une planète plus propre et d'une démocratie plus saine.

Philippe Falardeau

Concurrent à La course destination-monde (1992-1993). La moitié gauche du frigo, Monsieur Lazhar, The Good Lie, Guibord s'en va-t-en-guerre

Film favori: Les ordres (Michel Brault)

«Je fais partie de cette génération de cinéastes qui devait s'émanciper des précédentes, très marquées par le cinéma identitaire. La pensée néolibérale a aussi fait en sorte d'anesthésier toute fibre politique révolutionnaire au cours des années 80 et 90. Là, il y a peut-être un retour du balancier. Mais ça ne paraît pas encore beaucoup. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, je ne crois pas qu'il soit plus compliqué maintenant de monter un film à connotation politique. À mon sens, il n'y a pas eu beaucoup de cas de refus ou de censure pour vraiment pointer un malaise du doigt sur ce plan. Peut-être que les cinéastes ne présentent tout simplement pas ce genre de projets? Je ferai assurément d'autres films dans ce genre, mais j'estime que la question politique doit s'incarner à travers le cheminement intime de personnages. Le didactisme est le grand piège à éviter.»

Photo André Pichette, archives La Presse

Philippe Falardeau