Le Service des archives de l'UQAM, détenteur du plus grand fonds d'archives concernant Claude Jutra, traverse une période trouble. La tempête causée par le témoignage accablant, plus tôt cette semaine, d'un homme qui dit avoir été victime du cinéaste, force la direction à bloquer l'accès à l'ensemble du fonds. La Presse a pu s'en rendre compte lors d'une visite hier matin.

Dans un courriel, le Service des archives et de gestion des documents a justifié sa décision ainsi : « À la lumière des nouvelles informations rendues publiques récemment au sujet du Fonds Claude-Jutra, par souci de ne pas porter atteinte à la vie privée de tierces personnes, ni à leur réputation, le Service des archives et de gestion des documents a décidé de suspendre temporairement la consultation de la totalité du Fonds Claude-Jutra. »

Le Service des archives va donc procéder à une évaluation complète de son contenu. Cette opération devrait prendre plusieurs mois. Jennifer Desrochers, porte-parole de l'UQAM, a précisé qu'au moment de prendre possession de ce fonds d'archives au milieu des années 80, l'UQAM n'avait fait qu'un travail de classification et d'identification. Précisons que ce n'est pas la première fois que le Service des archives procède à un nouvel examen d'un fonds.

Documents sous scellés

Le fonds Claude-Jutra comprend environ 25 000 photographies, près de 200 images filmiques, une centaine de bandes sonores, une cinquantaine de cassettes sonores, environ 500 cartes postales, des journaux personnels, des agendas, des correspondances et divers textes, des poèmes, des chansons et des scénarios annotés.

Dans un article publié hier dans La Presse, il était question de documents qui font partie de ce fonds et qui sont sous scellés depuis 2000. Claude Jutra a fait don de ses archives entre 1984 et 1986. Un long travail d'évaluation a suivi.

Il s'agit d'une correspondance amoureuse entre une femme et lui, de cassettes provenant de son répondeur téléphonique et, surtout, d'un journal personnel. Tous ces documents sont frappés d'une restriction jusqu'en 2040.

Le Service des archives a tenu à rappeler que des documents pouvaient être sujets à une restriction parce qu'ils contiennent des renseignements dont la divulgation pourrait « porter atteinte à la vie privée de tierces personnes, droit reconnu comme fondamental par la Charte des droits et libertés de la personne, ou causer des dommages à leur réputation ».

La Cinémathèque québécoise détient aussi une partie des archives personnelles et professionnelles de Claude Jutra dont l'accès n'a pas été bloqué.

Une photo gênante

L'auteur de la biographie de Claude Jutra, Yves Lever, a pu consulter l'ensemble des documents de l'UQAM lors de la rédaction de son ouvrage. Il a eu accès aux milliers de photographies et à des lettres, notamment une correspondance avec la mère du cinéaste.

Selon lui, aucun document normalement accessible au public n'est compromettant. Il a toutefois vu une photographie où l'on voit Claude Jutra lors de vacances en Haïti avec un jeune homme d'environ 17 ans. On y voit l'adolescent et Jutra en compagnie de quelques Haïtiens. La photo a été prise en 1973.

Claude Jutra aurait fait la connaissance du jeune homme trois ans plus tôt lors du tournage du film Mon oncle Antoine. Rappelons que le tournage s'est déroulé à Black Lake et Saint-Adrien-d'Irlande, près de Thetford Mines, à l'hiver 1970. Ce garçon était un proche de certains jeunes comédiens qui ont participé au film. Selon Yves Lever, Jutra aurait commencé à fréquenter le jeune homme au moment du tournage.

Exposition annulée

L'Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ), aujourd'hui propriétaire de la maison du square Saint-Louis où habitait Claude Jutra, a annoncé hier l'annulation d'une exposition de photographies du cinéaste.

Dans un communiqué, l'UNEQ a simplement dit que « compte tenu des circonstances entourant les révélations sur Claude Jutra », l'événement prévu le 27 février dans le cadre de la Nuit blanche de Montréal en lumière était retiré du programme.

L'UNEQ maintient toutefois le reste des activités prévues au cours de cette soirée dans cette maison victorienne située au 3492, avenue Laval.

Tout au long de la soirée, des écrivains liront des extraits de leurs oeuvres, alors qu'à l'étage on présentera un documentaire de Daniel Ménard intitulé Le monde a besoin de... magie. Dans ce film, on voit le jeune Michel Rivard. Ce dernier a été chambreur chez Claude Jutra à la fin des années 70.