Certains font des films pour défendre une cause. D'autres, pour mettre en images un roman qui les a marqués. D'autres encore, en hommage à un personnage plus grand que nature. Michel La Veaux a fait un film sur un lieu qu'il habite et qui l'habite depuis plus de 15 ans.

Sa façade se dressant comme la proue d'un navire à l'intersection des rues de Seine et de Buci dans le 6e arrondissement de Paris, l'hôtel La Louisiane est un écrin d'histoire dans Saint-Germain-des-Prés. Un lieu hors du temps, suranné, un brin crado, où sont passées de nombreuses personnalités au fil de son histoire. Et où des créateurs aiment encore déposer leurs valises pour mieux s'isoler du monde et forger de nouvelles oeuvres.

Directeur de la photographie (Ce qu'il faut pour vivre, Trois temps après la mort d'Anna, Le vendeur), La Veaux est un de ceux-là. Au hasard d'un retour de voyage, il y a 16 ou 17 ans, il a mis les pieds à La Louisiane pour une courte escale à Paris. Le lieu, ses gens, son histoire l'ont saisi au coeur. Il en a fait l'endroit où se poser lorsqu'il est de passage dans la Ville Lumière. Après plusieurs années de travail, il en a fait un documentaire.

«Avec ce film, j'aurais pu simplement faire une énumération des gens connus de la musique, du cinéma... qui sont passés par là. J'aurais pu tourner un film historique, mais je n'ai pas la compétence. Ou un film juste sur ce lieu que j'aime tant, mais ça ne tenait pas la route.»

En se servant du lieu comme point de rencontre, Michel La Veaux a donc tourné, avec Hôtel La Louisiane, un documentaire s'arrêtant aux valeurs auxquelles il croit: la création, la liberté, l'égalité, la dignité, le partage.

«C'est un film avec un regard humaniste. C'est ce qui est le plus important pour moi», assure-t-il.

Pour véhiculer ces valeurs, M. La Veaux utilise les entrevues menées avec une dizaine de personnes associées de près à l'hôtel. Du lot, deux noms ressortent: Juliette Gréco et l'écrivain Albert Cossery.

Dans les années 50, l'amante de Miles Davis a souvent séjourné à La Louisiane, chambre 10, là où La Veaux aime déposer ses valises. «À l'époque, j'avais la seule chambre avec une baignoire. Je ne vous dis pas le va-et-vient», lance-t-elle dans le film.

Au-delà de l'anecdote, elle s'attarde longuement à l'esprit de l'époque, où l'on n'avait rien, mais on partageait tout. «Les portes des chambres restaient ouvertes», dit-elle. Plus loin, elle évoque sa colère lorsqu'un restaurant parisien lui refuse l'entrée lorsqu'elle se présente au bras de Davis parce que ce dernier est noir.

«Juliette Gréco représente la dignité ainsi que de grandes valeurs de liberté et d'égalité, dit Michel La Veaux. Malgré son âge vénérable, elle maintient des positions de combattante. Son intensité est toujours de la même étoffe.»

Privilégié

Quant à Albert Cossery, écrivain d'origine égyptienne, il a fait voeu de vivre avec presque rien toute sa vie et a habité La Louisiane durant... 63 ans! Il y est mort, dans sa chambre, le 22 juin 2008.

La Veaux se sent privilégié d'avoir pu non seulement faire des entrevues avec lui et le filmer déambulant dans le quartier, mais aussi d'avoir pu tourner dans sa chambre.

«À la fin de sa vie, Cossery avait perdu la parole. Mais, même par ses silences, il peut dire beaucoup de choses. Pour moi, cet homme incarne la dignité humaine», dit le réalisateur qui a dédié son film à la mémoire de l'écrivain.

D'autres personnages sont présents dans le film, que ce soit par des images d'archives (Simone de Beauvoir) ou en entrevue devant la lentille (Robert Lepage, Olivier Py, Gérard Oberlé). Quel lien les unit? «Ils ont tous une priorité dans leur vie, c'est de gagner leur liberté», répond le réalisateur.

L'expérience à la réalisation ne s'arrêtera pas en si bon chemin. Michel La Veaux est pressenti pour réaliser un film de fiction. Et il prépare un documentaire sur un grand homme du cinéma québécois: Jean-Claude Labrecque.

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Hôtel La Louisiane prend l'affiche le 18 décembre.