Lancé au festival de Locarno au mois d'août dernier, le deuxième film d'Anne Émond sortira dans quelques jours sur nos écrans. La jeune réalisatrice y aborde avec délicatesse le thème du suicide, en nourrissant l'espoir que les gens y voient, malgré tout, une «célébration de la vie».

Anne Émond savait depuis une quinzaine d'années qu'elle ferait ce film. Discrète, elle avouera simplement «connaître» tous les personnages des Êtres chers.

«Ce que j'ai à dire est dans le film, mais oui, cette histoire est très près de moi et je suis fière de l'avoir fait. Je me sentais toute la légitimité de traiter ce sujet complexe, qui exige sensibilité et réflexion.»

Le film s'ouvre sur le suicide d'un père de famille, qui laisse dans le deuil sa femme et ses cinq enfants. Nous sommes à la fin des années 70, dans un petit village du Bas-du-Fleuve - le film a été tourné à Notre-Dame-du-Portage, non loin de sa ville natale de La Pocatière. Mais le drame sera gardé secret à certains membres de la famille, qui croiront plutôt à un arrêt cardiaque...

Tout le film d'Anne Émond repose sur le personnage de David (Maxim Gaudette), l'un des cinq enfants de la famille Leblanc, qui héritera des outils de ce père artisan, fabricant de marionnettes de bois. On le suivra sur une période d'environ 25 ans, de la mort tragique de son père jusqu'à la fondation de sa propre famille avec une certaine Marie (Valérie Cadieux), de qui il aura deux enfants.

Ce David a beau mener une vie paisible et heureuse, contrairement à son frère André (Mickaël Gouin), qui se perd dans l'alcool, il demeure assez énigmatique. «C'était le grand défi de ce personnage, nous dit Maxim Gaudette [Incendies, Polytechnique]. De le jouer tout en nuances. Parce qu'il est heureux, mais il est aussi tourmenté. Il chemine à travers ça en étant très présent auprès de ses enfants.»

Cruauté de l'éphémère

C'est la relation entre David et sa fille Laurence qu'Anne Émond a choisi d'approfondir. Du berceau à l'âge adulte, en passant par l'adolescence, on voit grandir la jeune fille (interprétée par Karelle Tremblay) jusqu'à ce qu'elle quitte la maison familiale.

«David aime la vie, précise la réalisatrice. Il aime tellement ses enfants qu'il souffre de les voir grandir. Je crois qu'il voit une espèce de cruauté dans l'éphémère, parce qu'il est tellement sensible...»

Comme dans son premier film, Nuit #1, on retrouve dans Les êtres chers le thème de la communication ou plutôt de la «difficulté de dire les choses», comme le précise Anne Émond. «C'est vrai qu'entre les deux films, il y a des thèmes similaires, nous dit la réalisatrice. Dans les deux cas, il y a des personnages torturés qui ont de la misère à vivre. C'est la manière de raconter mes histoires qui est différente, c'est tout.»

La cinéaste croit aborder cette question du suicide de manière différente dans Les êtres chers. «Quand on parle d'un suicide, on cherche toujours une raison. On voudrait pouvoir dire que telle personne avait un problème de jeu ou de toxicomanie, mais dans la vie, ce n'est pas toujours vrai. On peut être atteint d'un mal de vivre et d'une mélancolie inexplicables. On peut avoir tout pour être heureux et ne pas l'être.»

Périmètre de sécurité

Anne Émond tenait à ce que le film se passe «en région». «Pour le personnage de David, la nature est vraiment importante, indique-t-elle. C'est à la fois ce qui peut le sauver ou le perdre - il part à la chasse, il se retrouve souvent dans le bois ou au bord de l'eau, il a un petit périmètre de sécurité, avec sa maison, sa forêt, un périmètre à l'intérieur duquel il est capable de vivre.»

Pas question toutefois de photographier le Bas-du-Fleuve de manière spectaculaire. «Oui, les paysages sont très beaux, mais on ne voulait pas faire de cartes postales, dit-elle. On ne voulait pas filmer la nature québécoise de manière grandiloquente, en l'esthétisant. C'est juste l'histoire d'une famille qui vit près du fleuve. C'est la vraie vie, le quotidien, c'est tout.»

Les sauts dans le temps ont posé un défi de taille à la réalisatrice, qui couvre une période de plus de 20 ans!

«Le passage du temps était crucial dans cette histoire, avoue-t-elle. C'est un film sur ce qu'on transmet d'une génération à une autre, donc c'était important pour moi de voir les personnages vieillir sous nos yeux. Pour qu'on s'attache aussi à eux. Pour y arriver, je suis passée rapidement sur certains chapitres de leur vie que le spectateur pouvait deviner...»

Tendre et sobre

Malgré la dureté du propos, Anne Émond voulait que son film soit «lumineux» et qu'on sente bien que le personnage de Laurence choisit de vivre. La cinéaste de 33 ans vient de terminer le tournage du film Nelly - inspiré de la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan -, qui parle lui aussi du suicide. «C'est vrai que ce n'est pas facile de faire deux films qui parlent du suicide. Mais ce sont deux histoires complètement différentes.»

Autant Les êtres chers est un film tendre et sobre, autant Nelly baigne dans une détresse très sexe, drogue et rock'n'roll, estime Anne Émond.

«Nelly a annoncé sa mort à peu près 2000 fois dans tout ce qu'elle a écrit. Ses proches ont tout fait pour l'aider, mais c'est quand même arrivé. Ça revient à ça. Qu'est-ce qu'on peut faire? Aimer et être présent, c'est tout. C'est triste, mais quelqu'un qui veut se suicider va toujours réussir à le faire.»

Un rôle important pour Karelle Tremblay

Elle a à peine 19 ans et déjà, Karelle Tremblay multiplie les tournages. La jeune femme qui a fait des apparitions dans les séries Toute la vérité, 19-2 et Yamaska, et qui a fait ses débuts dans le film Corbo, joue ici le rôle le plus important de sa jeune carrière.

«Anne m'a fait confiance et j'ai rapidement trouvé mon personnage», précise la jeune femme autodidacte.

Avec Maxim Gaudette qui joue le rôle de son père, elle a dû rapidement créer des liens. «C'est quelqu'un de très professionnel, avec qui j'ai eu beaucoup de facilité à jouer. Dans ce film, le personnage du père est tellement sensible qu'il a ce besoin d'être toujours avec moi et de me suivre partout. J'avoue que dans la vraie vie, mon père n'est pas du tout comme ça!»

On verra prochainement Karelle Tremblay dans le nouveau film de Podz, King Dave, mais aussi dans les séries Jérémie à VrakTV et Unité 9 à partir du mois de janvier à Radio-Canada.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Karelle Tremblay