Les peurs d'enfance sont comme les légendes urbaines: elles peuvent nous coller à la peau très longtemps. Longtemps dans le sens d'années, voire de décennies.

Le cinéaste Philippe Lesage, lui, fait avec. Ces stigmates, aussi vieux soient-ils, demeurent en nous, croit-il fermement.

«En vieillissant, les peurs deviennent peut-être plus rationnelles, mais on ne s'en débarrasse jamais, dit-il. J'ai l'impression qu'il faut accepter ces choses parce qu'elles font partie de la vie. Dans mon cas, par exemple, j'ai très peur de mourir. Il n'y a pas une journée où je ne pense pas à la mort [rires]. On a tous des inquiétudes comme celle-là.»

De là à imaginer que M. Lesage se morfond dans le noir est un pas que nous ne franchirons pas. Au contraire, il a en bonne partie alimenté le scénario de son premier long métrage de fiction, Les démons, de ce qu'il a lui-même vécu étant gamin. En ce sens, son film est beaucoup plus près de sa réalité que les documentaires (Ce coeur qui bat, Laylou) qui l'ont fait connaître.

«Au documentaire, je me suis souvent intéressé à des sujets étrangers à moi, analyse-t-il. Par exemple, à l'adolescence du côté des filles et à la campagne. Pour la fiction, j'ai ressenti le besoin de tourner un peu plus la caméra vers moi. Et j'avais aussi envie d'explorer une partie de mon enfance et quelque chose qui est peu ou pas du tout exploité au cinéma: les peurs d'enfants.»

En entrevue, Philippe Lesage, qui est un grand livre ouvert, fait des correspondances entre son enfance et celle de Félix (Édouard Tremblay-Grenier), personnage principal du film. «Si mon personnage a peur d'avoir le sida durant un après-midi, moi, j'ai braillé pendant quatre jours, lance-t-il. On commençait à peine à parler de cette maladie et on disait toutes sortes de choses sur elle.»

M. Lesage associe l'autre important volet du film, celui où Ben (Pier-Luc Funk), un jeune adulte qui commet des meurtres sordides sur de jeunes garçons, à la triple disparition du 1er novembre 1984 impliquant Maurice Viens, Wilton Lubin et Sébastien Métivier. Les corps, mutilés, des deux premiers ont été retrouvés, mais pas celui du jeune Métivier. «Ces disparitions m'avaient traumatisé», raconte Lesage qui vivait à Longueuil à cette époque.

Édouard Tremblay-Grenier

Il y a beaucoup d'enfants dans le film de Philippe Lesage. Une certaine croyance veut que les tournages avec de si jeunes acteurs ne soient pas toujours une partie de plaisir. Lesage, lui, est enchanté de son expérience. Et il a beaucoup de bons mots pour son acteur principal qui est le fils de Mara Tremblay et de Daniel Grenier (Chick'n Swell).

«Nous avons vu 800 enfants en audition, indique le cinéaste. La scène d'audition d'Édouard est celle où l'enfant a peur d'avoir le sida. Je le trouvais bon, mais en revoyant la vidéo, j'ai remarqué qu'il pleurait pour vrai. J'ai vu toute sa sensibilité en repassant les rushes. J'ai senti sa sensibilité et son côté à fleur de peau. On l'a revu en audition plusieurs fois. Je le faisais même revenir pour donner la réplique à d'autres. Et il comprenait tout de son personnage.»

Quant à Pier-Luc Funk, il avait toute la jeunesse et le charisme nécessaires pour incarner le personnage de Ben. «Le fait qu'il soit jeune le rend victime aussi de son trouble intérieur, de ses propres démons», observe M. Lesage.

Ce dernier a déjà un autre long métrage, entièrement tourné, en banque. Intitulé Copenhague: A Love Story, le film, une comédie douce-amère, est inspiré d'expériences amoureuses vécues par le cinéaste au Danemark. Le film pourrait sortir au Québec dans les prochains mois.

Le cinéaste a aussi déposé pour financement à la production le scénario d'un film intitulé Genèse qui parlera des premiers amours d'adolescence.