Quels films québécois devrait-on proposer aux nouveaux arrivants de la Belle Province pour leur donner une petite idée de l'endroit où ils ont choisi de poser leurs valises ? Voici une liste de 10 films, forcément imparfaite, qui pourrait les aider. En prime : des personnalités nous racontent leur premier contact avec le cinéma québécois.

DIX FILMS POUR DÉCOUVRIR LE QUÉBEC

Si le cinéma est une porte ouverte sur le monde, il est aussi une porte d'entrée pour en apprendre un peu plus sur la société que l'on a choisie. Voici une liste non officielle de dix films pour découvrir le Québec.

LE DÉCLIN DE L'EMPIRE AMÉRICAIN, DENYS ARCAND (1986)

Probablement le film québécois le plus connu à l'étranger, cette comédie, parfois acide, est à la fois un hommage à l'amitié et une illustration des relations entre les hommes et les femmes au Québec après la révolution féministe. Pendant que quatre femmes se détendent au sauna après une séance d'exercices, quatre hommes préparent le souper au chalet, et des deux côtés, on jase de sexe dans ce long métrage très bavard et drôle. C'est aussi le premier film québécois à avoir été finaliste aux Oscars - Denys Arcand a finalement obtenu la statuette pour Les invasions barbares, la suite du Déclin !

Mise en garde : Vous y verrez un ancien député du Parti québécois avoir un orgasme dans un salon de massage. Eh oui !

LES PLOUFFE, GILLES CARLE (1981)

Pour comprendre le pouvoir de la religion catholique au Québec, le problème que posait aux Québécois la conscription pendant la Seconde Guerre mondiale, leur aversion pour la reine d'Angleterre, le combat syndical et les familles tricotées serré il n'y a pas si longtemps, ce beau film de Gilles Carle, adaptation du roman de Roger Lemelin, est incontournable. Avant ce long métrage, Les Plouffe a aussi été une très populaire série à la radio et à la télé.

Mise en garde  : Il faut savoir que la célèbre phrase « Il n'y a pas de place nulle part pour les Ovide Plouffe du monde entier ! », lancée par Gabriel Arcand, résumait en un cri du coeur la situation de bien des intellectuels au Québec...

MAURICE RICHARD, CHARLES BINAMÉ (2005)

Il fallait bien un film sur le sport national du Québec. Et le plus emblématique est probablement Maurice Richard de Charles Binamé, à propos du plus célèbre joueur québécois de l'histoire du hockey. Maurice Richard, surnommé le Rocket, est sans contredit le seul héros à faire l'unanimité dans la province. Ce film biographique retrace les grandes lignes de sa carrière, jusqu'à la fameuse « émeute du Forum » en 1955, à la suite de la suspension de Richard, qui avait frappé un juge de ligne. De nombreux historiens considèrent cet événement spontané comme le détonateur du réveil nationaliste.

Mise en garde  : La plupart des Québécois qui vous parleront du Rocket avec des étoiles dans les yeux ne l'ont jamais vu jouer. On est dans la légende, ici !

C.R.A.Z.Y., JEAN-MARC VALLÉE (2005)

C'est un film « chouchou » du Québec, qui revient systématiquement dans toutes les listes. Probablement parce qu'il entre dans l'une des grandes obsessions de la culture québécoise : la famille. Et plus particulièrement les rapports avec papa ou maman. On y retrouve la figure typique de la mère hyper maternelle qui pardonne tout, et la relation conflictuelle que bien des garçons entretiennent avec un père qu'au fond ils adorent - ce qui est plutôt universel. C'est encore plus compliqué pour Zack, le héros de C.R.A.Z.Y., forcé de cacher son homosexualité à un père qui n'accepte pas ce qui pour lui est une « déviance ».

Mise en garde  : Oui, les toasts au fer à repasser font partie du folklore alimentaire québécois...

LA PASSION D'AUGUSTINE, LÉA POOL (2015)

Les spectateurs québécois se sont pris d'affection cette année pour ces bonnes soeurs qui, au moment de la Révolution tranquille, ont senti tous leurs repères habituels glisser sous leurs pieds. Léa Pool, qui vivait en Suisse à cette époque, a su poser un regard sensible et juste sur la société québécoise, alors en pleine mutation. La réalisatrice emprunte une approche intimiste et délicate pour raconter le parcours de la directrice d'un couvent où l'on enseigne la musique. Celle-ci doit lutter pour sauver son établissement alors que le système d'éducation devient universel et public. Ce drame, parsemé de touches d'humour, rend ainsi hommage aux contributions individuelles de ces femmes de culture qui, même dans la Grande Noirceur, ont éduqué le Québec.

Mise en garde : La technique de polissage des planchers utilisée dans le film n'est jamais vraiment passée dans l'usage dans la vie civile. Qu'on se le dise !

ELVIS GRATTON, PIERRE FALARDEAU (1985)

On n'a pas le choix d'inclure ce film, lui aussi culte au Québec, même si le portrait qu'il dépeint est dévastateur. C'est que son réalisateur, Pierre Falardeau, farouche indépendantiste, avait des comptes à régler avec les Québécois qui avaient voté Non au référendum (perdu) de 1980. Collage de trois courts métrages dont l'humour est un hommage à Jacques Tati, Elvis Gratton raconte les tribulations de Bob Gratton, un être profondément imbécile obsédé par Elvis et la culture américaine, image épouvantable du « colonisé » dans le cauchemar falardien. 

Mise en garde : Elvis Gratton est précisément ce qu'aucun Québécois ne veut être (se faire traiter de Gratton est entré dans les insultes), mais par un renversement pas mal schizophrénique, Elvis Gratton est devenu une sorte de héros, au grand dam de son créateur qui a tenté de l'assassiner dans les films qui ont suivi. En vain.

SÉRAPHIN : UN HOMME ET SON PÉCHÉ, CHARLES BINAMÉ (2002)

Dans le jargon populaire, un pingre est appelé un « Séraphin » au Québec. La faute à l'écrivain Claude-Henri Grignon qui a créé en 1933 le personnage de Séraphin Poudrier, incroyablement radin, obsédé par l'argent, et qui vole par chantage financier la belle Donalda au bel Alexis. Cette histoire tragique et increvable, on ne cesse de se la raconter depuis près d'un siècle, à la radio, à la télé, au cinéma, au théâtre. La preuve ? Une énième version des Belles histoires des pays d'en haut (remake du téléroman) est présentement en production.

Mise en garde : Séraphin : un homme et son péché, c'est un peu comme Tristan et Iseult ou Lancelot et Guenièvre, mais dans la forêt québécoise et sans adultère. Donalda est une vraie sainte catholique qui ne succombe pas.

LA GUERRE DES TUQUES, D'ANDRÉ MELANÇON (1984)

Véritable film culte que des générations d'enfants ont vu depuis sa sortie, et qui a été distribué dans plus de 125 pays, La guerre des tuques met en scène deux bandes d'enfants qui s'affrontent pour la possession d'un fort construit en neige. C'est ainsi qu'on insère dans son vocabulaire des répliques que tout le monde dit encore aujourd'hui, comme « La guerre, la guerre, c'est pas une raison pour se faire mal » ou « T'as de la neige sur l'épaule ». Belle vision de l'hiver aussi, car seuls les enfants ne chialent pas contre le climat au Québec !

Mise en garde : Cette guerre ne fera qu'une seule victime, mais sortez vos mouchoirs.

LÉOLO, JEAN-CLAUDE LAUZON (1992)

Considéré par le magazine Time en 2005 comme l'un des 100 meilleurs films de tous les temps, Léolo est une plongée hallucinée dans la psyché québécoise, l'un des films les plus beaux et étranges de notre cinématographie. Un garçon, Léo Lauzon, préfère s'inventer une origine italienne plutôt que d'assumer son identité canadienne-française. Il se rebaptise Léolo Lozone. « Parce que moi je rêve, moi, je ne le suis pas » est le leitmotiv... Et une scène en particulier montre cruellement le complexe d'infériorité québécois, lorsque son grand frère, malgré un entraînement intensif pour être plus fort, pleure comme un bébé face à son ennemi de toujours... un garçon anglophone.

Mise en garde : Il y a dans ce film une scène impliquant un foie de veau, pas casher, ni halal, ni catholique, ni correcte dans aucune culture, finalement...

LES ORDRES, MICHEL BRAULT (1974)

Difficile à croire pour quelqu'un qui a choisi le Québec pour son atmosphère paisible et pacifiste, mais il y a déjà eu l'armée et des arrestations massives sans mandat dans les rues de Montréal, en 1970. Cette docufiction de Michel Brault, qui suit cinq personnages, raconte un épisode sombre de l'histoire québécoise, quand la Loi sur les mesures de guerre a été adoptée par le gouvernement canadien après les attentats du Front de libération du Québec, lors de ce que l'on a appelé ensuite la crise d'Octobre. 

Mise en garde : Oui, ce film va vous choquer.

- Avec la collaboration de Marc-André Lussier, La Presse 

JE ME SOUVIENS...

Des personnalités qui ont un jour choisi le Québec pour y vivre nous racontent le souvenir de leur premier film québécois.

KIM THÚY, écrivaine

Les Plouffe, de Gilles Carle

« Pour la chanson Il était une fois des gens heureux de Nicole Martin. C'était triste et beau quand on l'entendait à la fin. J'en pleurais chaque fois. Je ne maîtrisais pas encore assez le français pour comprendre le contenu du film. Mais inconsciemment, je crois que j'ai absorbé beaucoup de la culture québécoise. Et puisque nous vivions dans la pauvreté durant ces années-là, j'avais l'impression qu'on partageait une même réalité. Et la chanson Il était une fois des gens heureux, je lui donnais une interprétation littérale. Je la collais à mes parents qui avaient vécu une vie bourgeoise, beaucoup plus facile que celle qu'ils avaient durant ces premières années au Québec. »

NABILA BEN YOUSSEF, humoriste

Le déclin de l'empire américain, de Denys Arcand

« Je l'ai vu en 1996 quand je me suis installée au Québec. C'est l'oeuvre qui m'a fait aimer le plus le Québec et les Québécois. Je crois que c'est surtout grâce à ce film si je me suis attachée à ma terre d'accueil. Je m'étais dit : je pense que j'ai bien choisi le pays où je vais m'épanouir tout à fait et comme je le veux. Tout m'a plu dans ce film : l'histoire, les personnages, mais surtout cette belle brochette d'ami(e)s, leurs sincères relations, leur complicité et leur grande ouverture d'esprit. Cela m'avait donné le goût de voir ensuite Les invasions barbares et plein d'autres films québécois. »

DANY LAFERRIÈRE, écrivain

Les ordres, de Michel Brault

« Je venais d'arriver au Québec avec Jeunesse Canada Monde. On avait pris le train pour un camp au Nouveau-Brunswick et dès le premier soir, on nous avait programmé Les ordres. C'était en 1974. Ce fut un choc. L'ambiance du film m'a tout de suite replongé dans une atmosphère bien connue. En même temps, j'ai eu l'impression que la liberté d'expression permettait un film d'une telle force. J'avais 21 ans. Était-ce une bonne idée de commencer par un tel film ? Je ne sais pas, mais j'ai comme perdu mon innocence au premier rendez-vous amoureux. »

MANI SOLEYMANLOU, dramaturge, metteur en scène 

Pour la suite du monde, de Michel Brault et de Pierre Perrault

« Été 2004 : alors que je cherchais à finir mon bac le plus vite possible afin de déménager à l'automne à Montréal pour aller à l'École nationale de théâtre, j'ai visionné, pour la première fois, dans un cours de cinéma à l'Université d'Ottawa Pour la suite du monde de Michel Brault et de Pierre Perrault. J'ai découvert ce film créé en pleine Révolution tranquille, j'ai découvert le cinéma-vérité et j'ai été émerveillé par cette magnifique langue, sous-titrée en anglais, dans une salle de classe trop climatisée de la faculté des arts de l'Université d'Ottawa. »

JÉRÔME MINIÈRE, auteur-compositeur-interprète 

Le déclin de l'empire américain, de Denys Arcand

« Ma réponse, loin d'être originale, s'insérerait à merveille dans les statistiques sur l'impact du cinéma québécois en France dans les années 80. Comme beaucoup de gens, ce fut Le déclin de l'empire américain. J'avais 14 ou 15 ans et ce film m'avait semblé très "olé olé" ; ces Québécois semblaient bien moins coincés que nous (les Français) !! »

- Propos recueillis par Chantal Guy