Après son premier long métrage, La cicatrice, le cinéaste Jimmy Larouche est de retour avec Antoine et Marie, un film sans concession sur les conséquences d'un viol commis avec la drogue GHB, réalisé dans des conditions difficiles, mais avec la même passion dévorante qu'il a pour le cinéma, pour lequel il sacrifie tout. Un film aussi engagé que son auteur.

«L'austérité, c'est moi! Ça fait deux ans que je ne me suis pas acheté de nouveaux vêtements», lance Jimmy Larouche en riant, lorsqu'on aborde le financement du film Antoine et Marie, qui n'a reçu aucun argent public. 

«J'avais envie de faire un film, je suis allé voir mon chum David-Olivier St-Denis, propriétaire d'une entreprise de postproduction. Il a mis 60 000$, et là, il y avait une possibilité de faire le film. Est-ce que j'attendais, est-ce que je demandais quelque chose à la SODEC? Je me suis dit: "Ah fuck! On tourne! " Le film n'existait pas du tout en avril, et en septembre, il était tourné.»

Mettant en vedette Martine Francke et Sébastien Ricard dans les premiers rôles, Antoine et Marie raconte les trajectoires parallèles, dans un petit village, d'un agresseur et de sa victime, qui ne se souvient pas de l'agression puisqu'elle a été droguée. Honte et paranoïa pour elle, malaise et incohérence pour lui, chacun poursuit sa route avec des émotions de plus en plus envahissantes...

Jimmy Larouche est entré au cinéma de la même façon que Xavier Dolan, en quelque sorte. En n'attendant pas les subventions. 

«Dolan est arrivé avant moi, c'est le drame de ma vie, blague-t-il. Si au moins il n'avait pas été bon... Mais il est bon! Je regarde Dolan briller et je suis content pour lui. C'est fou ce qu'il a fait pour J'ai tué ma mère, il faut des couilles pour faire ça, et je fais la même chose. Nous sommes allés voir le même monde pour avoir des sous. Et son père joue dans mon prochain film.»

Mais personne ne lui fera regretter son choix de carrière, lui qui tourne depuis l'adolescence dans son patelin du Lac-Saint-Jean. Au début, il n'y croyait pas. «Dans ma tête, un cinéaste, ce n'était pas un Québécois, c'était à Hollywood.»

Il a donc étudié en administration, trouvé du travail qui le rendait malheureux. «Est-ce que j'allais passer ma vie à ne pas être heureux? J'ai fait un examen de conscience et je me suis demandé ce qui allait me combler, et tout de suite, la réponse a été: faire des films.»

Malgré les embûches et le statut précaire, Jimmy Larouche est pratiquement un coach de motivation lorsqu'il parle du cinéma québécois. 

«C'est comme pour le hockey. Le Québec est une puissance dans ce sport parce qu'on développe un immense bassin de joueurs et c'est la crème de la crème qui arrive dans la LNH. Au cinéma, je sens que c'est ce qui est en train d'arriver. Il y a de plus en plus de cinéastes, et la Ligue nationale, c'est de faire des films financés par la SODEC ou Téléfilm. C'est pourquoi le cinéma québécois indépendant rayonne partout en ce moment à travers le monde.»

«Dans les festivals, les gens sont jaloux du Québec. Comment une si petite province peut-elle produire autant de films qui vont se rendre à Cannes, à Venise, à Berlin, à Sundance, aux Oscars? On est les Gaulois du cinéma!»

Un film engagé

Le film Antoine et Marie est né d'une conversation du réalisateur avec Marc Béland, tête d'affiche de son premier film, La cicatrice. Le comédien lui a confié avoir envie d'aborder le sujet de la drogue du viol, parce qu'une de ses connaissances en avait été victime. Jimmy Larouche aussi connaît des victimes de viol dans son entourage. Et ça le met en colère.

«Pourquoi ça continue d'arriver autant, et surtout pourquoi on ne dénonce pas? Te te fais voler ton portefeuille, tu vas à la police. Tu te fais briser ta voiture, tu vas à la police. Tu te fais démolir ton coeur et ton âme, tu restes chez toi et tu ne le dis à personne? Dans le cas de la drogue du viol, le drame, c'est que tout est imprécis, tu ne t'en souviens pas. Mais le vrai drame, c'est que la société ne fait pas tout en son pouvoir pour que ça arrête. 

«Dans l'affaire Ghomeshi, par exemple, c'est incroyable, le nombre de personnes qui se sont rangées de son côté. Les victimes, elles le voient, ça! Le problème, ce n'est pas juste l'agresseur. C'est la société. On est complices de penser "ah, elle l'a un peu cherché", "elle s'habille comme une guidoune"... On est tous complices, ce qui fait que les femmes ont peur de dénoncer.»

Le film Antoine et Marie est associé aux centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS). En plus des témoignages des victimes, Jimmy Larouche s'est documenté sur le profil des agresseurs - avec ou sans drogue du viol. «Dans tous les cas, c'est un même désir de dominance, de contrôle. Ce sont des gens qui se victimisent énormément aussi. Qui vont dire: "Ce n'est pas de ma faute, c'est elle qui est venue me voir au bar, si ma femme me donnait du sexe, j'irais pas ailleurs, etc."»

Jimmy Larouche souhaite qu'en voyant Antoine et Marie, les gens ne vivent pas «des émotions par procuration, mais de vraies émotions. [Il veut] qu'ils vivent le mal-être des personnages». Comment espère-t-il que son film soit reçu par le public? «Je veux qu'il le reçoive tout court! Qu'il aille le voir. Qu'il lui donne une chance.»

Antoine et Marie prend l'affiche le 19 juin.