Les deux guerres mondiales ont nourri, sous plusieurs angles, le cinéma. Mais pas au Québec. Une poignée de films québécois évoquent la Seconde Guerre mondiale. Et à ce jour, aucun film de fiction ne porte sur le conflit de 1914-1918 auquel des milliers de Québécois, souvent contre leur gré, ont participé. À l'occasion du 100e anniversaire du début de la Première Guerre mondiale et à l'approche du jour du Souvenir, La Presse se penche sur le sujet.

Il y a eu des ouvrages savants, quelques romans, des documentaires. Mais jamais le Québec n'a produit à ce jour un long métrage de fiction consacré à la Première Guerre mondiale.

C'est du moins le constat que nous avons fait en faisant une recension de la cinématographie québécoise. Et quelques experts contactés pour nous éclairer dans notre recherche étaient bien en peine de nommer un titre.

Pourtant, de gré ou de force, le Québec et son peuple ont été directement concernés par la Première Guerre mondiale qui s'est amorcée il y a 100 ans cette année. Ils l'ont été tout autant durant la Seconde Guerre mondiale que le cinéma québécois a explorée, de façon oblique la majorité du temps, à travers quelques titres tels Il était une guerre, Ti-Coq, Les Plouffe, Je suis loin de toi mignonne ou encore Bonheur d'occasion.

Lorsqu'on demande aux intéressés les raisons expliquant ce vide, ceux-ci énumèrent quelques obstacles: coûts importants de production, carences dans l'enseignement de l'histoire, mauvais souvenirs découlant de la crise de la conscription.

«Les cinéastes québécois se sont peu intéressés à l'histoire, dit Yves Lever, ancien professeur de cinéma au cégep Ahuntsic. La Grande Guerre est, de surcroît, plutôt mal documentée avant ces dernières années. Pour la Seconde Guerre mondiale, on a plusieurs films de fiction, surtout parce qu'elle évoquait des souvenirs personnels de plusieurs cinéastes.»

Enjeu politique

La cinéaste et comédienne Micheline Lanctôt, qui a écrit et réalisé le film La vie d'un héros (Seconde Guerre mondiale), évoque aussi la question historique.

«La participation du Québec à la Première Guerre est un enjeu politique énorme. Je pense que personne n'a envie d'ouvrir ce dossier-là, dit-elle. En plus, l'histoire n'est pas vraiment enseignée dans les écoles. Il n'est pas surprenant que les jeunes ne s'y intéressent pas.»

Mais avant tout, croit-elle, tout est une question de budget. «On en parle peu parce que les coûts sont prohibitifs. Moi, en tournant Pour l'amour de Dieu, j'ai reconstitué l'année 1959 avec un budget famélique. Heureusement que j'avais des écoles et des couvents parce que je n'aurais pas réussi à le faire avec le budget que j'avais!»

Président des Films Séville, le distributeur Patrick Roy se souvient du casse-tête budgétaire ayant entouré la réalisation du film canadien-anglais Passchendaele portant sur cette bataille survenue dans les Flandres belges en 1917.

«C'était un financement complexe. L'Alberta y avait contribué parce que le film concernait des gens de l'Ouest canadien», dit-il.

Deux docufictions

Le film s'approchant le plus d'une fiction québécoise serait La guerre oubliée, long métrage de Richard Boutet sorti en 1987. Tournée en 16 mm, l'oeuvre est consacrée à la résistance des Québécois face à la guerre et les émeutes survenues à Québec en 1917 à la suite de l'imposition de la conscription. Joe Bocan, Jacques Godin et d'autres comédiens participent à des scènes de fiction insérées dans des éléments documentaires.

«Le film contient plusieurs scènes chantées qui ont été tournées à l'Office national du film devant des archives qui défilaient en front screen. C'était une première et nous avons remporté un prix d'innovation avec ce projet», se souvient la productrice Lucille Veilleux.

À propos de ce film, Le dictionnaire du cinéma québécois dit: «Fidèle à Brecht, Boutet utilise l'histoire pour montrer à la fois les déterminations et les possibilités du présent.»

Professeur agrégé au département d'histoire de l'art et études cinématographiques de l'Université de Montréal, Germain Lacasse indique qu'un autre docufiction sur le sujet a été tourné en 1918 par Ernest Ouimet. Mais ce court métrage, intitulé The Call of Freedom, serait disparu selon M. Lacasse.

«On connaît le film par des mentions dans certains journaux, dit M. Lacasse qui a fait une recherche postdoctorale sur le cinéma de la Première Guerre mondiale et qui a, sans succès, essayé de retrouver le film de Ouimet. C'était un film muet avec des intertitres en français et en anglais. C'était un film pour encourager l'enrôlement. Un des employés de Ouimet avait décidé de s'enrôler et on l'avait filmé en train de rencontrer les recruteurs, en participant à l'entraînement, etc. Le film n'avait pas beaucoup circulé parce qu'il est sorti à la fin de 1918 alors que la guerre s'achevait.»

Mémoire collective

S'il existe plusieurs obstacles à faire une fiction québécoise sur la Première Guerre mondiale, le tout est réalisable.

«Il y aurait de bons sujets à explorer comme les émeutes de Québec. Si c'est bien préparé, ça ne coûte pas plus cher qu'un autre film», croit le cinéaste Claude Fournier qui a réalisé Bonheur d'occasion et Je suis loin de toi mignonne.

«Oui, les coûts sont chers pour les films historiques, mais lorsqu'on a un sujet fort, on essaie de le faire», dit le producteur et distributeur Christian Larouche de Christal Films.

En conclusion de son ouvrage Le cinéma d'une guerre oubliée (chez VLB), Louis Brosseau écrivait que pour une province dont la devise est «Je me souviens», l'amnésie semble caractériser notre mémoire collective et que LE film québécois traitant de la Seconde Guerre mondiale restait à faire.

C'est sans doute encore plus vrai pour le conflit de 14-18.

Quelques films sur la Première Guerre mondiale

> Passchendaele (2008) : Film canadien de Paul Gross mettant en vedette Caroline Dhavernas. Basé sur l'histoire du grand-père de Gross, le film suit les destins croisés de trois Canadiens impliqués dans la Première Guerre mondiale.

> La vie et rien d'autre (1989) : Réalisé par Bertrand Tavernier, ce film nous transporte en 1920, deux ans après la fin du conflit, alors que le major Dellaplanne (Philippe Noiret) se consacre à la recension de soldats disparus.

> À l'ouest, rien de nouveau (1930) : Réalisée par Lewis Milestone, la version originale propose un regard sur le conflit du côté allemand. Encouragés par leur professeur, les jeunes hommes d'une classe de finissants s'enrôlent dans l'enthousiasme avant de découvrir l'horreur de la guerre.

> Un long dimanche de fiançailles (2004) : Ce film de Jean-Pierre Jeunet se déroule dans les tranchées de la bataille de la Somme où quelques soldats français sont accusés de s'être automutilés pour éviter de se battre. La distribution comprend Audrey Tautou, Gaspard Ulliel, Clovis Cornillac et Marion Cotillard.

> War Horse (2011) : Film de Steven Spielberg racontant l'histoire d'Albert, un garçon qui, après avoir perdu son cheval Joey, intégré à la cavalerie britannique, s'engage dans l'armée pour le retrouver.

Photo: Disney/Buena Vista

War Horse