En 1976, ce film de Jean-Claude Lord - dialogues de Michel Tremblay - a provoqué une véritable onde de choc. Trente-huit ans plus tard, cette virulente - et cruelle - dénonciation du monde des «artistes de variétés» est devenue culte.

La grande première de Parlez-nous d'amour a eu lieu en septembre 1976 dans l'un des grands cinémas de Montréal. À cette époque, les salles, encore immenses, pouvaient parfois accueillir plus d'un millier de spectateurs. «Si ma mémoire est fidèle, la projection a eu lieu au cinéma Le Parisien», rappelait Jean-Claude Lord plus tôt cette semaine quand il a été invité par La Presse à ressasser quelques souvenirs à propos de ce film très virulent sur le monde de la télévision.

«Tout le milieu artistique était là, se rappelle le réalisateur. Mais aussi toutes les dames qui avaient participé au film. J'ai trouvé ça très rough. Je ne m'étais pas vraiment rendu compte à quel point le film était cruel. Auparavant, j'étais trop pris par cette envie de dénoncer les travers du showbiz. On voulait alerter les gens afin qu'ils arrêtent de se faire berner. Mais la réaction a été brutale. Je l'ai sentie le soir même pendant la projection. Avant, nous étions dans notre bulle. Le lendemain de cette première, il n'y avait plus moyen d'obtenir aucune entrevue nulle part. Ni à la télé, ni à la radio, ni dans les journaux. Le débat qu'on a voulu initier n'a jamais eu lieu.»

Mettant en vedette Jacques Boulanger, au faîte de sa gloire à l'époque, Parlez-nous d'amour relate le parcours de «Jeannot», un animateur-vedette dégoûté par son métier, surtout à cause de tout ce qui se passe dans les coulisses de son émission de variétés. Des chanteuses «prometteuses» exploitées sexuellement par des producteurs véreux jusqu'aux pots de vin aux recherchistes, en passant par les marchandages en tous genres avec les journaux à potins et les téléthons truqués, tout y passe. Et comme si la charge n'était déjà pas assez violente, on évoque en prime, plein écran, le profond mépris qu'entretiennent des décideurs et des artisans envers un public qu'ils flattent pourtant dans le sens du poil dès que s'allume la caméra.

État de choc

Au souvenir du cinéaste, il n'y a pas eu de huées. Mais pas d'applaudissements non plus. Plutôt un silence. Du genre de celui dans lequel on s'emmure après avoir subi un choc. Ou s'être fait passer dessus par un bulldozer.

«Je me souviens surtout des dames qui, en sortant de la salle, arrivaient en pleurs devant Jacques Boulanger. Elles l'imploraient de leur dire que tout ça n'était pas vrai, elles voulaient l'entendre dire qu'il n'était pas comme ça dans la vie! Là, j'ai dit: WO! En même temps, le propos du film était très réel. Ce qu'on y décrivait correspondait à la réalité. Évidemment, quand tout est concentré en deux heures, la charge est forcément plus grande. Et plus dure à prendre.»

Une remise en contexte s'impose ici. Au début des années 70, parallèlement à sa carrière de réalisateur (Les colombes, Bingo), Jean-Claude Lord tient pendant trois ans une chronique cinéma à la populaire émission Bon dimanche à Télé-Métropole (l'aïeul du réseau TVA). Ensuite, il tient le même rôle dans Boubou, une émission de variétés quotidienne animée par Jacques Boulanger, diffusée à Radio-Canada.

«Jacques était écoeuré par ce qu'il voyait autour de lui et il s'est mis à me raconter plein d'affaires, raconte celui qui, 10 ans plus tard, s'est attaqué à la toute première série Lance et compte. Je trouvais le sujet intéressant et je lui ai demandé si ça lui tentait d'en tirer un film. Il a dit oui. J'ai alors enregistré plusieurs heures de conversations. On a contacté Michel Tremblay. On lui a remis les cassettes et c'est à partir de là que tout s'est construit. Le film a provoqué une très grande onde de choc. D'où, probablement, la volonté de Jacques de prendre ses distances. Et je peux le comprendre. Il a fait preuve de beaucoup de courage. Il a peut-être aussi été un peu inconscient. Le scénario a quand même été écrit à partir de ses révélations!»

Un amalgame

En recréant à l'écran un décor semblable à celui de Boubou, et Jacques Boulanger animant l'émission au grand écran de la même manière qu'il animait quotidiennement la sienne à la télé, une bonne partie du public a fait l'amalgame. Et a pensé que le populaire animateur, au sommet du palmarès affectif du public à l'époque, y racontait sa propre vie. Plusieurs y ont aussi vu un suicide professionnel alors que, selon le principal intéressé, il n'en était vraiment rien.

Le scénario étant par ailleurs coécrit par Michel Tremblay, les acteurs de renom ne se sont pas fait prier. Autour de Jacques Boulanger gravite l'une des distributions les plus impressionnantes de l'histoire du cinéma québécois: Monique Mercure, Amulette Garneau, Rita Lafontaine, Benoît Girard, Claude Michaud, Denis Drouin, Manda Parent, Françoise Berd, Roger Garand, Roger Lebel et bien d'autres. Des jeunes aussi: Anne Létourneau, Véronique Béliveau, Marie Chouinard, Pierre Curzi. Nicole Cloutier, une chanteuse de «variétés» de l'époque, affiche un remarquable tempérament d'actrice dans le rôle d'une jeune chanteuse «prometteuse».

«Jamais je n'aurais pu croire que ce film connaîtrait une nouvelle vie, souligne Jean-Claude Lord. Je me suis tellement fait massacrer quand il est sorti! Ce n'est qu'il y a cinq ou dix ans qu'on a commencé à m'en reparler. Quand j'ai reçu l'appel du Festival du nouveau cinéma, qui voulait le film pour inaugurer sa section Eléphant ClassiQ, je me suis dit: wow! Il y a parfois de ces retours des choses qu'on n'attendait pas du tout!»

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Parlez-nous d'amour est présenté à l'auditorium Alumni de l'Université Concordia ce soir à 18h. Aussi offert sur le service Éléphant: mémoire du cinéma québécois.