«Tout ce qui est gênant dans le film est arrivé pour vrai», lance sans retenue Ricardo Trogi à propos de 1987, son nouvel opus abreuvé à même sa propre histoire.

Oui, Ricardo Trogi a volé des autoradios à 17 ans. Oui, il a été arrêté. Oui, il a fait des travaux communautaires afin de payer sa dette à la société.

Des regrets? On n'en trouve pas chez cet homme, fils, maintenant père, cinéaste et scénariste entier qui carbure aux émotions brutes et dit ce qu'il pense sans essayer de s'autocensurer.

Il vous balancera que l'été 1987 fut mémorable. «La fin du secondaire est un moment important pour un paquet de monde. Moi, ce fut mon plus bel été, lance-t-il. Tu te permets de voler des affaires. Tes parents te gossent pour trouver un job, mais ce n'est pas lourd; tu n'as qu'à sortir de la maison pour ne plus les entendre. L'été 1987 fut mon plus grand moment de liberté. À 11 ans, tu es sous l'emprise de tes parents; pas à 17 ans.»

Trogi parle des jeunes de 11 ans parce que son film précédent, 1981, évoquait l'histoire du petit Ricardo, 11 ans, pris avec ses démons (les filles, l'argent, les biens de consommation) dans un contexte de changement d'école.

Encore incarné par Jean-Carl Boucher, on retrouve donc Ricardo en 1987 lorsque se termine le secondaire. Toujours tiraillé par les mêmes envies, sauf celle de se faire une place dans une bande de gars, car il est le leader de la sienne, Ricardo sait maintenant ce que signifie l'expression «la fin justifie les moyens». Mais les conséquences, on le verra, sont plus importantes qu'à 11 ans.

La famille

Dans le sillage du premier film, Ricardo demeure toujours à la maison entouré de son père Benito (Claudio Colangelo) vivant de petits boulots, de sa mère Claudette (Sandrine Bisson), serveuse dans un bar, et de sa soeur Nadia (Rose Adam), enfermée dans sa chambre.

Sa vie de famille est souvent orageuse, son quotidien est ponctué d'engueulades poivrées (certaines répliques sont terrifiantes), mais son socle est toujours solide.

«Ricardo est mélangé entre être italien ou québécois. C'est sans doute l'élément déclencheur qui le fait tomber dans le milieu criminel. Mais il y a de l'amour dans cette famille, quelque chose d'assez solide pour qu'il puisse s'en sortir de la bonne manière», dit Jean-Carl Boucher de son personnage.

Trogi confirme ses propos. «Je n'ai pas souffert, dit-il. Ma famille, dans le film, peut parfois avoir l'air dysfonctionnelle, mais jamais je n'ai douté de l'amour de mes parents. Même si j'ai dit des choses dures à mon père...»

Un autre rythme

Lorsqu'on lui demande comment a vieilli son personnage, Jean-Carl Boucher répond: «Il va dans le bon sens. Le point commun avec le premier film, c'est qu'il y a toujours un moment où il devient un peu criminel. Mais ce qui est le fun à la fin, c'est cet aspect de réconciliation. On comprend qu'au fond, Ricardo est un bon garçon.»

La différence entre les deux oeuvres, son auteur la voit dans le rythme. «1987 est plus comique et plus rapide que 1981, dit Trogi. Parce que les choses se précipitent davantage à 17 ans qu'à 11 ans, un âge où tu peux badtriper durant six mois sur la même affaire.»

Au registre des thèmes récurrents, Ricardo a eu, dans la vie comme à l'écran, un rapport conflictuel avec le matériel et l'argent. Qu'en est-il aujourd'hui?

«Plus jeune, j'ai eu un problème avec ça parce que je viens d'une famille où on n'avait pas d'argent, dit Trogi. Je viens de la basse classe moyenne où tu n'as jamais la bonne affaire. Tu côtoies des gens qui possèdent des choses à la mode et ça finit par créer des désirs. Mais ça évolue. Depuis que je suis adulte, je vis des cycles. Après la Course destination monde [ndlr: à laquelle il a participé en 1994-1995], par exemple, je ne voulais plus rien. Mais tu rembarques dans la roue et un an plus tard, tu te retrouves à négocier un ensemble laveuse-sécheuse chez Brault et Martineau. Il faut prendre du recul de temps à autre et c'est ce que je fais.»

Mais vous vous promenez en Porsche, lui fait-on remarquer avec un malin plaisir.

«C'est ma voiture, je l'ai payée, elle est à moi. C'était un rêve de jeunesse. Mais il faut que tu connaisses toutes les Porsche. La mienne est loin d'être la plus chère. Et puis, je suis en train de me tanner. Je viens de m'acheter une Kia. J'ai une Porsche et une Kia, lance-t-il un bras vers le haut, l'autre vers le bas. Personne n'a ça...»

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1987 prend l'affiche le mercredi 6 août.

Une suite intitulée 1991?

Ricardo Trogi a-t-il l'intention de continuer à nourrir son imaginaire en puisant dans l'histoire de sa vie? Sans doute. «Tant que c'est fait avec humilité et modestie, ça va, lance le cinéaste. Comme je parle de situations qui ne me mettent pas en valeur, ça passe bien.»

Si un troisième volet nous arrivait, il évoquerait probablement l'année 1991, où le cinéaste a fait son premier voyage en Europe, sac au dos. «Il m'est arrivé tellement de choses dans les gares», dit-il, les yeux brillants. Il pourrait aussi revenir sur son passage à la Course destination monde en 1994-1995.

Jean-Carl Boucher serait prêt à réincarner Ricardo une troisième fois. Quant à la productrice Nicole Robert, elle lance: «J'embarquerais! Je vais le suivre n'importe où, où il veut aller. J'ai tellement confiance en lui. Avec lui, c'est plaisir et bonheur tout le temps.»

Photo: archives La Presse

La cuvée 1994-1995 de la Course destination monde. Ricardo Trogi est en haut à droite.

Le Robert Morin de la comédie

Foi de Nicole Robert, qui a produit les quatre longs métrages de Ricardo Trogi (Québec-Montréal, Horloge biologique, 1981, 1987), ce dernier est le Robert Morin de la comédie, en référence au réalisateur des films Le Nèg', Papa à la chasse aux lagopèdes et Quatre soldats.

«Ricardo est en même temps coup de poing/coup de coeur, dit Mme Robert. Il parle de sujets importants sur un ton humoristique.»

Elle ajoute que Trogi a une façon singulière de parler des relations amoureuses du point de vue des jeunes gars et de diriger ses comédiens.

«Avec lui, le jeu se fait de façon très naturelle. On peut faire des arrêts, s'embrouiller dans ses mots, etc. Comme dans la vraie vie.»

Photo: David Boily, archives La Presse

Nicole Robert

Le beau succès de 1981

Le 27 août 2009, à la Place des Arts, le film 1981 de Ricardo Trogi est présenté en ouverture du 33e Festival des films de monde. S'amorce alors une carrière qui le conduira dans 22 festivals de la planète.

Sortie en salle le 4 septembre 2009 au Québec, l'oeuvre récoltera quatre nominations au gala 2010 des prix Jutra, où elle remportera deux statuettes: meilleure actrice de soutien (Sandrine Bisson) et meilleure coiffure (Linda Gordon).

Cette année-là, le gala est dominé par les longs métrages J'ai tué ma mère de Xavier Dolan, Polytechnique de Denis Villeneuve et Dédé à travers les brumes de Jean-Philippe Duval.