Première exceptionnelle du film Maïna de Michel Poulette, à Kuujjuaq, au Nunavik, à l'extrême nord du Québec. La Presse a accompagné l'équipe de production au pays des glaces et des phoques.

Au nord du 55e parallèle, les premières de cinéma sont rarissimes. Jeudi dernier, la communauté de Kuujjuaq a donc déroulé un immense tapis blanc pour accueillir Michel Poulette et l'équipe de Maïna, le nouveau long métrage du réalisateur de Louis 19, adapté du roman historique de l'auteure Dominique Demers. Cette dernière et trois comédiens ont accompagné Poulette pour assister au visionnement, en primeur canadienne, du film tourné en partie à Kuujjuaq, en présence du maire et de représentants d'associations autochtones.

À l'entrée du centre communautaire, qui sert aussi d'hôtel de ville et de palais des congrès, des douzaines d'enfants courent dans tous les sens, renversant leurs sacs de maïs soufflé. Ce film d'aventure ne s'adresse pas vraiment à eux. Toutefois, dans une collectivité où une famille compte souvent cinq enfants et plus (65% des 2150 résidants ont moins de 30 ans!), on ne va pas aux vues sans sa smala. Or, dès les premières images, après trois faux départs - par chance, les Inuits ne se stressent pas avec les problèmes techniques - , la salle replonge dans le silence. La magie du cinéma opère!

En oubliant la neige et le froid polaire, on pourrait s'imaginer dans une scène du très beau film de Peter Bogdanovich, The Last Picture Show, qui se déroule pourtant à 4000 km au sud, dans un bled du Texas. À une époque d'avant Vincent Guzzo, alors qu'une salle de cinéma était le lieu de rassemblement d'une communauté isolée. Et une séance, un rituel pour fuir l'âpre réalité et la dureté du quotidien, grâce au pouvoir du septième art.

Maïna est le récit d'une histoire d'amour et d'apprentissage entre une jeune Innue (Roseanne Surpernault) et un Inuit (Natak, interprété par l'acteur inuit Ippellie Ootoova), avant l'arrivée des Blancs au Canada. Une citation de l'auteur de Lovecraft ouvre le film de Michel Poulette: «La peur de l'inconnu est la plus vieille et la plus forte émotion du monde.»

Son ode à la beauté du métissage et de la différence a convaincu le cinéaste d'adapter le roman de Demers au grand écran, avec le scénariste Pierre Billon, (Nouvelle-France, Séraphin).

L'histoire se passe il y a 600 ans, avant Jacques Cartier. Mais les créateurs soulignent son actualité, alors que le débat sur la Charte de la laïcité nous rappelle que la peur de l'autre ne s'est pas enfouie au fin fond de la toundra.

«Le Tom Cruise du Nunavut»

À la fin de la projection, le réalisateur dédie son film «à la jeune génération inuite et aux prochains leaders du Nunavik». Après les discours d'usage, les Kuujjuamiuts enfourchent leur motoneige ou montent à bord de leur 4x4. Pas facile d'avoir des réactions à chaud des habitants, même s'ils ont aimé le film. Ce peuple de résiliants est peu bavard. Il faut dire qu'il n'a pas l'habitude d'avoir une caméra devant les yeux, ni l'attention des médias du Sud sur sa destinée...

Dehors, la nuit froide et noire est tombée. Le réalisateur et son groupe se rendent au bar, de l'autre côté de la rue - plutôt en haut de la pente glacée - pour terminer en beauté cette journée particulière. L'acteur le plus connu du film, Natar Ungalaaq (Atanarjuat, Ce qu'il faut pour vivre) est originaire d'Igloolik, un village du Nunavut encore plus au nord (eh oui, c'est possible!). Il se fait littéralement accoster par un groupe d'admirateurs. «Je suis un peu comme le Tom Cruise du Nunavut», dit le comédien en rigolant. Sauf qu'ici, nul besoin de gardes du corps.

En plus de la réalisation, Michel Poulette produit Maïna, qui est distribué par Équinoxe et doté d'un budget de 8,5 millions (près de la moitié provient de sociétés d'investissements autochtones). Le film prendra l'affiche le 21 mars au Québec, dans deux versions, française et anglaise (les dialogues en innu et en inuktitut sont sous-titrés.)

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À lire samedi prochain: nos entrevues avec les artisans de Maïna.