«Ce qui m'intéresse, c'est de faire des histoires sur de petites fins du monde», lance en entrevue le cinéaste Sébastien Pilote à propos de son film Le démantèlement. En effet, cette histoire d'un fermier qui vend sa terre pour le bien de ses filles fait écho à la fragilité et aux épreuves du monde agricole québécois.

Pour écrire et tourner ses films, Sébastien Pilote carbure à deux ingrédients: la réalité et la nostalgie. S'ajoutent à cela quelques thèmes récurrents: la paternité, le travail, les régions.

Ce savant mélange s'est matérialisé dans le court métrage Dust Bowl Ha! Ha!, dans l'inoubliable premier long métrage Le vendeur et maintenant dans Le démantèlement.

Ce n'est toutefois aucun de ces sujets qu'utilise M. Pilote pour parler de son film. Il emploie plutôt le thème le plus universel qui soit.

«Moi, j'ai voulu faire un film d'amour. Le démantèlement est une histoire d'amour. L'amour paternel, démesuré, inconditionnel. C'est l'histoire d'un homme qui est prêt à vivre comme un chien pour satisfaire les volontés de ses filles», dit le réalisateur en traçant des parallèles avec Le père Goriot de Balzac et Le roi Lear de Shakespeare. «Cet homme sait que ses filles peuvent profiter de lui. Il en est conscient, mais il veut qu'elles soient heureuses.»

Ce que le cinéaste affirme, il le fait dire à son personnage principal, Gaby (Gabriel Arcand), alors que l'histoire s'engage dans sa phase finale. Pour Gaby, sa vie, ce sont ses filles. Pas son travail.

Gaby, donc. Producteur d'agneaux depuis 40 ans. Divorcé. Père de deux filles installées à Montréal. La plus jeune, Frédérique (Sophie Desmarais), joue au théâtre. L'aînée, Marie (Lucie Laurier), est sur le point de se séparer. Elle demande à son père de l'aider à conserver sa résidence. Pour ce faire, celui-ci est forcé de vendre sa terre et tous ses biens. Au grand dam de son ami Louis (Gilles Renaud), ange gardien rationnel de Gaby.

Ici comme dans les deux films précédents, c'est un père en relation pratiquement fusionnelle avec son travail qui est au coeur de l'histoire.

Pour Sébastien Pilote, qui a deux jeunes enfants, les pères constituent une belle piste à explorer au cinéma. «Le père est un personnage intéressant, dit-il. Ça me touche. Au Québec, dans notre imaginaire, l'image des mères est très forte. Celle des pères aimants et aimables est moins présente. Ça me touche toujours au cinéma de voir des hommes, des pères de famille, pleurer.»

Et le travail? «Les hommes n'ont jamais appris à vivre autrement que dans leur travail, répond l'intéressé. Ils confondent vie personnelle et vie professionnelle. Si on leur enlève leur travail, ils n'ont plus rien et doivent réapprendre à vivre. Ce qui leur reste, c'est la famille, les enfants.»

La disparition

Comme Le vendeur, Le démantèlement aurait pu tout aussi bien être un documentaire tellement il colle à une certaine réalité; les villes mono-industrielles dans le premier cas et les difficultés de l'agriculture québécoise dans le second. M. Pilote reconnaît s'inspirer de la réalité et des tournants de l'histoire pour bâtir ses fictions.

«Une société en changement, une civilisation qui s'essouffle, ce sont des choses qui m'intéressent, dit-il. Je suis quelqu'un de nostalgique, j'aime la nostalgie. C'est le cas ici alors qu'on fait face à un monde en train de disparaître et un type de personnage, d'individu [le fermier], en voie d'extinction, de disparition.»

Le travail de Michel La Veaux à la direction photo se moule parfaitement à la vision du monde de Sébastien Pilote. Il suffisait de voir leur complicité sur le plateau de tournage pour comprendre à quel point ces deux-là sont sur la même longueur d'onde.

«Avec Michel, un grand dialogue s'installe, lance le cinéaste. Il aime passionnément la lumière. Dans les deux films [Le démantèlement et Le vendeur], nous nous sommes entendus sur une chose: le but n'était pas de faire de belles images, mais de bonnes images. On voulait des choses simples, sans esbroufe, sans chercher à impressionner. Son côté documentariste me plaît et me sert beaucoup. Il a cette capacité de foncer dans le tas et de s'approcher du sujet. Moi, ça m'aide. Je l'apprécie.»

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Le démantèlement prend l'affiche le 15 novembre.

Ils ont dit...

Lucie Laurier (Marie)

Lucie Laurier interprète Marie, l'une des deux filles de Gaby dans Le démantèlement, qui sera perçue par plusieurs comme n'ayant aucune reconnaissance. N'est-ce pas elle qui obtient un gros coup de pouce financier du paternel sans dire merci?

La comédienne, qui s'est attachée au personnage, défend sa Marie. «Sébastien [Pilote] la voyait comme la plus ingrate. Je ne veux pas la juger ainsi. Marie est coincée dans une certaine réalité et est devenue insensible à ce qui est extérieur à sa vie.»

L'histoire rejoint aussi la sienne. «J'ai reconnu mes parents qui ont tout fait pour nous», dit-elle.

N'ayant pas joué dans un long métrage québécois depuis Nitro, Lucie Laurier se dit très flattée qu'un jeune réalisateur comme Sébastien Pilote ait remarqué son travail. À la lecture du scénario, elle a vu des élans poétiques comme dans Days of Heaven de Terrence Malick.

Sophie Desmarais (Frédérique)

Sophie Desmarais voit un trait de caractère similaire avec Frédérique dans Le démantèlement et Isabelle, ce personnage atypique qu'elle incarnait dans Curling de Denis Côté.

«Elles sont toutes deux des confidentes, dit-elle. En plus, Frédérique a beaucoup d'empathie pour son père et ne le juge pas. On aurait pu croire qu'elle débarquerait et tenterait d'infirmer sa décision de vendre la ferme, mais ce n'est pas le cas. Cette jeune femme qui a quitté sa région pour suivre son rêve est mature, calme et humaine.»

Cette première rencontre avec Sébastien Pilote l'a inspirée. «J'aime l'humanité, l'austérité dans le cinéma de Sébastien. On voit aussi chez lui un réalisateur qui aime ses personnages et s'efforce de leur laisser toute la place.»

Gilles Renaud (Louis)

Gilles Renaud a souvent tourné dans des premiers ou deuxièmes (comme ici) films de réalisateur et en apprécie la candeur. «Ces jeunes n'ont pas été identifiés à une forme ou une mouvance de cinéma et n'ont pas la préoccupation de faire leur oeuvre», dit-il.

Dans le film, Gilles Renaud incarne Louis, comptable et ami indéfectible de Gaby. «Dans mon jardin secret, j'ai toujours pensé qu'ils étaient des amis d'enfance, dit-il. Louis n'est pas un fils de cultivateur, mais est devenu le comptable de plusieurs d'entre eux. Avec ses clients, il est généreux, mais avec Gaby, ça va plus loin. Ils sont de vrais amis. Dans la scène la plus forte entre eux, ils ne sont pas dans la même pièce et se parlent comme s'ils se connaissaient depuis toujours.»

Chose certaine, Louis est fortement opposé à la décision de Gaby de vendre sa ferme. «Il est rationnel et montre à Gaby que son projet ne fonctionnera pas. Il est fâché de voir Gaby ainsi exploité par ses filles.»

Photo: Martin Chamberland, La Presse

Lucie Laurier et Sophie Desmarais