Pour son premier long métrage documentaire, la cinéaste Nadine Beaudet revisite un pan méconnu de l'histoire de l'immigration au Québec: l'arrivée d'Européens de l'Est en Abitibi.

Après la Seconde Guerre mondiale, plus de 2000 immigrants russes et polonais, attirés par un monde meilleur, s'installent dans cette région pour travailler dans les mines. Ils sont suivis par des Allemands, des Italiens, des Finlandais, etc.

Leur passage demeure bien visible dans la région en raison de leurs institutions, telles les églises orthodoxes. Par contre, leur présence humaine s'efface peu à peu. En suivant les traces de deux survivants, le père Lev Chayka et Régine Gabrysz, Mme Beaudet revient sur le sujet.

Q : En quoi cette histoire vous a touchée pour avoir envie d'en faire un documentaire?

R : J'ai rencontré Lev Chayka à bord d'un autobus nous amenant à Rouyn-Noranda. Il m'a raconté son histoire: l'Ukraine, les goulags, la Sibérie. Bercée par son accent slave, je suis partie plus loin encore. Qui étaient ces immigrants d'Europe de l'Est venus vivre en Abitibi? Puis un jour, Régine, la belle Russe du film, m'est apparue marchant dans un parc, colorée et mystérieuse. Le récit de son enfance brisée à tout jamais à l'âge de 10 ans par l'horreur de la guerre m'a profondément émue.

Q : Parle-t-on assez de la mémoire des immigrants au Québec?

R : Jamais assez. Fuyant les guerres pour la liberté ou appelés en renfort, ils sont eux aussi des «créateurs» du Québec. Trop souvent, les traces de leur présence s'effacent progressivement. Est-ce volontaire, par peur de l'autre ou de la différence? Lev et Régine sont visibles dans le paysage abitibien, mais demeurent méconnus, tout comme cette histoire oubliée. Leur présence est pourtant une richesse. À mes yeux, l'or de l'Abitibi réside dans la diversité des histoires de ces gens venus d'ailleurs.

Q : Quel est le fil conducteur entre les personnages de votre film?

R : Ils sont aux antipodes l'un de l'autre, mais ils sont aussi «les derniers des premiers» immigrants et représentent ensemble l'histoire toujours vivante du développement humain et minier de la région. Dans ce territoire nordique démesuré, leur poésie, leur musique et leurs rituels demeurent fortement marqués par leur appartenance à leur pays d'origine.

Q : Quel sera le sujet de votre prochain film?

R : Il y sera question d'une rencontre poétique entre musique et astronomie. À travers Gilles, astrophysicien, je m'interroge sur les valeurs accordées à la vie, au temps et à la mémoire. Notre passage sur Terre est bien éphémère si on le compare à la vie d'une étoile qui se compte en milliards d'années. Mais la vie humaine porte une grandeur qui est d'un autre ordre. Nous pouvons aimer, donner naissance à des enfants, apprendre à jouer de la musique, rire et rêver.

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Au cinéma Excentris à compter du 1er novembre.