Pour son troisième long métrage, Les loups, Sophie Deraspe a installé son décor aux Îles-de-la-Madeleine, pays de ses racines paternelles. Elle y raconte une histoire noueuse de relations humaines où la nature a le premier rôle. La Presse a visité le plateau de tournage.

Louise Portal Gilbert Sicotte et Évelyne Brochu rentrent du plateau de tournage vêtus de lainages et chaussés de bottes de caoutchouc. Avec sa barbe blanche et sa tuque rouge sur la tête, Sicotte est méconnaissable.

À l'intérieur de l'auberge, Benoît Gouin, Martin Dubreuil et les autres membres de l'équipe ont la même allure. «Je ne vous serre pas la main; je sens le hareng», s'excuse Gouin.

Tout le monde a les joues rouges, les yeux fatigués. «On a passé la matinée en mer et l'après-midi sur la plage», explique Louise Portal. La soirée ne s'étirera pas; la journée du lendemain s'annonce presque aussi chargée.

Aux Îles-de-la-Madeleine, la nature est reine. Elle émerveille et épuise. Elle séduit sans se laisser conquérir. Au point où, foi de la réalisatrice Sophie Deraspe, elle constitue le personnage principal du film.

«La nature dicte ce que font les hommes, les bêtes. C'est notre biologie! Elle est intimement liée à tout cet environnement, dit-elle en entrevue. J'essaie de rendre ça. Je la saisis, je la filme, j'essaie de mettre les comédiens dedans. Je veux que cet environnement fasse écho aux personnages. Et elle est forte, cette nature [rires].»

Lui donne-t-elle du fil à retordre? «Oui, mais plus que cela: elle me procure de la grâce et elle m'enivre.»

Évelyne Brochu, qui défend le personnage principal d'Élie, une étudiante en littérature dont l'arrivée dans une île de l'Atlantique Nord crée des remous, partage ce sentiment. «La nature est non seulement le personnage principal du film, elle en porte aussi l'émotion et trace le sens poétique, dit-elle. Je vois les émotions qu'elle nous offre et je pense que ce film sera riche et beau. On n'aura jamais vu la nature comme ça.»

Éclosion de relations

Au moment de notre passage, l'équipe tournait une scène dans laquelle Élie, nouvellement arrivée, tente un premier contact avec des membres importants de la communauté au poste de pêche. L'accueil est tiède.

Le fait que la belle surgit en dehors de la saison touristique soulève encore plus le doute. Notamment chez Maria (Louise Portal), hérissée. «Maria est un petit peu la mère de la communauté, dit son interprète. C'est la louve protectrice d'un peu tout le monde. Et c'est en raison de son côté protecteur que l'arrivée d'Élie va l'amener à se poser des questions. Elle ne comprend pas ce qu'une belle petite blonde comme elle vient faire dans l'île au mois de mars.»

Cette arrivée printanière survient au moment où la chasse aux phoques s'organise et attire son lot d'animalistes et de journalistes. Autre phénomène dérangeant. «Je fais un pêcheur, un capitaine de bateau qui s'appelle William Menquit, dit Benoît Gouin. C'est un chasseur de phoques. Ici, les hommes ont toujours chassé les phoques sur la banquise. C'est leur façon de vivre, mais l'arrivée d'Élie crée la confrontation entre son monde urbain et celui des îles.»

Derrière ces étincelles annoncées, Sophie Deraspe veut parler de rencontres entre êtres humains. «Tous mes films sont différents, dit la réalisatrice du film Les signes vitaux. Mais je me reconnais tout le temps dans la façon d'approcher les êtres humains, d'essayer de les sonder et de les mettre dans un univers favorisant des liens ou des éclosions de relations.»

Autre marque de commerce de Mme Deraspe, sa volonté de donner voix à des acteurs non professionnels et de marcher sur un fil ténu entre fiction et réalité. Et c'est encore plus le cas ici, car son père demeure à Grande-Entrée, où elle a passé beaucoup de temps.

«J'espère que cette façon de faire va rester, dit-elle. J'essaie de faire un cinéma qui est vrai, authentique, spontané. Dans un souci de vérité, j'aime ce côté mixte, cette contamination entre professionnels et non professionnels.»

Les loups prendra l'affiche au printemps 2014.

Les frais de ce reportage ont été payés par l'Association coopérative de productions audiovisuelles.