Fred Pellerin et Luc Picard joignent de nouveau leurs forces pour donner vie aux personnages de légende venus de Saint-Élie-de-Caxton. Onirique, sombre et finalement lumineux, Ésimésac est un conte ambitieux où se mènent des batailles qui font écho aux défis actuels.

Fred Pellerin affiche ses atomes crochus avec Richard Desjardins ces temps-ci. Son plus récent spectacle, De peigne et de misère, inclut une chanson du poète abitibien qui parle de «feux d'argent aux portes des banques» et d'amours «qui valent la peine». La même chanson, Nous aurons, se fait aussi entendre au générique d'Ésimésac, deuxième film inspiré de l'univers du conteur de Saint-Élie-de-Caxton.

«Dans la rencontre du pluriel et du futur se trouve une partie de la définition de l'espoir», avance Fred Pellerin, en s'appuyant sur le titre de la chanson. Nous aurons naît d'une colère sourde, mais revendique surtout l'espoir d'un monde affranchi de la dictature de l'argent et où la richesse se calculerait d'abord en relations humaines.

Ésimésac raconte justement une histoire de colère et d'espoir. Le film réalisé par Luc Picard, déjà aux commandes de Babine (2008), se déroule à une époque où les colorés habitants de Saint-Élie-de-Caxton traversent des années de vache maigre. La communauté a la mine basse - et blême - jusqu'à ce que le petit dernier de la famille Gélinas, Ésimésac (Nicola-Frank Vachon), suggère de créer un jardin communautaire pour nourrir le village.

L'idée emballe tout le monde, sauf le forgeron Riopelle (Gildor Roy). Lui, il fait encore gras tous les jours. Il plaide plutôt pour un projet de chemin de fer qui, s'il passe par Saint-Élie, amènerait la prospérité à toute la communauté. Et pas mal de billets de banque dans son propre bas de laine...

Un miroir du monde

Ésimésac, c'est l'évidence, prend les détours du conte et de la métaphore pour parler d'aujourd'hui, c'est-à-dire d'un monde où un projet industriel aux retombées incertaines (certains penseront au Plan Nord) est vendu à la population comme un stimulant projet collectif. «Étrangement, la réalité s'est rapprochée du propos du film», constate d'ailleurs Fred Pellerin, qui a tricoté ce récit il y a cinq ans.

La correspondance, déjà nette au lendemain de la crise financière de 2008, a incité Luc Picard à replonger dans cet univers. Il précise même avoir décidé de faire le pas en raison d'une scène où le village entier se dresse devant une machine. «Voir du monde se mettre ensemble, ça m'émeut», avoue-t-il, avant d'évoquer le «beau bruit» des casseroles dans les rues le printemps dernier.

«Avec la mondialisation, on a perdu le contrôle de nos systèmes économiques. Dans l'ouverture au monde, on n'a pas réussi à garder une humanité», regrette le réalisateur. Gildor Roy acquiesce et renchérit: «L'opposition communautaire au monde financier est mondiale et c'est ça, le film, constate-t-il. Ce n'était pas difficile de se motiver pour aller tourner.»

Tisser un seul fil

Loin de l'exposé macro-économique, malgré ses préoccupations sociales, Ésimésac est d'abord un divertissement poétique. Son fil, savamment tissé, se déploie en un seul long conte et non pas comme une suite d'historiettes comme Babine. «On s'était donné comme défi de ne faire qu'une longue histoire, confirme le réalisateur. Tout ce qui n'avait pas rapport à l'histoire, soit on l'enlevait, soit on lui trouvait une pertinence.»

Fred Pellerin, que Luc Picard décrit comme «un gars de bulles», admet qu'il a eu du mal à concevoir la charpente du récit, inspirée par son spectacle Comme une odeur de muscles. L'imagination a toutefois vite repris le dessus. La fable sur la solidarité et sur la vie à crédit se déploie dans une trame riche, fortement imprégnée par la nature de son protagoniste principal.

Ésimésac, rappelons-le, est un garçon de 2 ans dans un corps et une tête d'adulte. Il est fort comme un boeuf, naïf comme un gamin et transparent comme un coeur pur. Il n'a donc pas d'ombre ni d'ego mal placé. Ce qui va changer lorsqu'il se fera poser une ombre par la sorcière (Isabel Richer), un geste d'affirmation individuelle qui, paradoxalement, le rendra plus comme tout le monde...

Réalisme magique

Loin du merveilleux affiché de Babine, ce nouveau film de Luc Picard nous surprend par ailleurs par sa facture plus réaliste (le film a été tourné à l'extérieur), néanmoins dotée d'une respiration aérienne et fantastique. «Mon expérience de studio, je l'ai trouvée difficile, reconnaît le réalisateur. Je suis content de Babine, mais un studio, c'est limitant pour la caméra. On filme ce qu'on peut, pas nécessairement ce qu'on veut. Dehors, le monde nous appartient!»

S'inspirant tantôt du côté bon enfant de Pagnol, tantôt de l'univers de Germinal - stupéfiant roman de Zola campé dans les mines de charbon du nord de la France -, il a cherché l'équilibre entre l'onirisme et la sobriété. «Ce qui compte, c'est le propos, insiste-t-il, la vitalité de cette langue-là.»

Sur ce plan-là aussi, il a adopté une approche mesurée. «Il ne faut pas que le charme et la coquetterie de la langue prennent le pas sur la situation dramatique. Si on a trop de jeu de mots, trop de finesse, ça fait décrocher», juge le réalisateur. Fred Pellerin n'en prend pas ombrage. Son «sevrage» langagier s'est fait à l'écriture de son premier scénario.

Il garde le meilleur de sa dyslexie poétique pour le personnage du barbier Méo, campé de manière truculente par René Richard Cyr. «Ce plaisir-là, c'est dans lui que je le mets», dit-il. Pour le reste, il fait confiance à la caméra, au rythme du montage et aux images. «Ça fait de la poésie plutôt que du délire langagier et de la mitraille verbale, constate Fred Pellerin. Les images ajoutent une puff poétique au film.»

Ésimésac prend l'affiche le 30 novembre.

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Nicola-Frank Vachon: comédien à temps partiel

Luc Picard a choisi un visage neuf pour porter Ésimésac. Nicola-Frank Vachon, grand gaillard au regard d'un bleu transparent, joue surtout à Québec où il mène aussi une carrière de photographe. Un acteur à temps partiel qui rêve désormais de cinéma.

Dire que Nicola-Frank Vachon est peu connu relève de l'euphémisme. L'acteur a surtout joué sur les planches des théâtres de la ville de Québec, où il réside. Du Molière, du Howard Barker, du Racine, le plus souvent à La Bordée et au Trident, grande scène où il a notamment interprété le Macbett (avec deux «t») de la pièce de Ionesco.

Avant de décrocher le rôle principal d'Ésimésac, son expérience du cinéma se résumait à un petit rôle dans Les grandes chaleurs de Sophie Lorain. «Je faisais un chauffeur de calèche. On me voyait les pieds... et de loin», détaille-t-il. Un tout petit rôle, qui ne l'a pas du tout préparé à voir son visage en gros plan sur un grand écran. «Ça nous met face à nous-mêmes, avoue-t-il. J'ai trouvé ça très bizarre comme expérience.»

Luc Picard cherchait un visage à la fois candide et transparent pour incarner le jeune homme fort au coeur pur au centre de son deuxième film. Nicola-Frank Vachon, avec son regard d'un bleu très pâle, possède une aura de naïveté et d'ouverture qui colle bien à son personnage. Un trait de caractère qui se confirme en entrevue où il dit le fond de sa pensée sur le métier d'acteur qu'il pratique... à temps partiel.

Nicola-Frank Vachon se décrit comme une «girouette». Graphiste de formation, il est vite retourné sur les bancs d'école pour butiner. Cinéma, philosophie, anthropologie, histoire des religions, il a touché à bien des disciplines avant d'en trouver une à la mesure de sa curiosité: l'art dramatique. Or, voilà qu'après quelques années à jouer au théâtre, il consacre déjà l'essentiel de son temps à la photographie.

«La photo me passionne autant que le théâtre et ça marche bien. Je fais beaucoup de photo de scène, je travaille avec le Musée de la civilisation, j'ai de beaux contrats, se réjouit-il. Si je ne faisais pas de cinéma, je ne sais pas si je serais comédien toute ma vie. Me connaissant, il se peut que j'aie envie d'autre chose...»

Le tournage d'Ésimésac lui a donné la «piqûre» du cinéma. «J'ai réalisé que j'étais plus à l'aise sur un plateau de tournage que sur une scène de théâtre, raconte-t-il. Puisque chaque scène est découpée, que ce n'est pas en continu, on peut aller dans le détail. J'ai aimé pouvoir aller en subtilité.»

Du conteur qui a écrit le scénario d'Ésimésac, il connaissait en fait surtout les chansons avant de se présenter à l'audition. Ce n'est pas en fréquentant l'oeuvre de Fred Pellerin qu'il s'est préparé à son rôle. «J'ai essayé de retrouver l'état dans lequel je suis quand je voyage: l'ouverture à ce qui arrive, sans jugement sur rien, explique-t-il. J'ai aussi essayé de m'inspirer des enfants qui sont dans mon entourage.»

Nicola-Frank Vachon ne rêve pas d'une carrière d'acteur à Montréal. Avec la sortie d'Ésimésac, il se montre toutefois ouvert à mieux partager son temps entre la photo et le jeu. «Je suis chanceux d'avoir une carrière de photographe qui va bien. Je ne me demande pas si on va m'engager pour jouer ou non. Je suis aussi moins stressé quand je joue parce que ma vie n'en dépend pas.

«Ça fait que je peux juste être meilleur quand je joue, juge-t-il. Et c'est ce qui est arrivé dans le cas d'Ésimésac parce que je me disais que je n'avais rien à perdre à faire l'audition. L'avoir, c'était un bonus dans ma vie.» Un bonus qui, maintenant, peut faire toute la différence.

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Luc Picard: l'acteur réalisateur

L'audition, Babine et maintenant Ésimésac. Luc Picard se construit petit à petit une filmographie à titre de réalisateur. Il ajoute du même coup des oeuvres à son curriculum d'acteur puisqu'il a joué dans tous les films qu'il a réalisés à ce jour. Le cinéaste en lui n'est d'ailleurs pas à la veille de prendre le pas sur le comédien.

«Encore aujourd'hui, à matériel égal, entre réaliser quelque chose d'intéressant et jouer quelque chose d'intéressant, je vais choisir de jouer», assure Luc Picard, qui campe Toussaint Brodeur, propriétaire du magasin général, dans le monde de Fred Pellerin.

Le jeu a un côté sportif qu'il adore, même s'il a parfois trouvé difficile, sur le tournage d'Ésimésac, de placer des tableaux de groupe et de s'y glisser ensuite en enfilant le chapeau de son personnage. «Mais c'est le fun aussi, parce qu'on est sur le plancher des vaches avec les autres. Ça me rappelle à quel point on est fragile quand on est devant la caméra. Peut-être que ça me garde plus honnête, aussi, songe-t-il. En tout cas, c'est super le fun!»

Luc Picard devra peut-être se priver de ce plaisir dans son prochain projet de film. Par sa propre faute, en plus: «Je viens de finir un scénario et je ne vois pas de rôle pour moi dedans, dit-il avec un sourire triste. Je suis un peu déçu!»