Le film retenu pour représenter l'Iran aux Oscars suscite un débat dans le pays, tant pour le choix de l'oeuvre elle-même que pour la décision de participer au grand rendez-vous annuel d'Hollywood.

La Fondation Al-Farabi pour le cinéma, chargée de choisir le film que l'Iran enverra à cette compétition en 2019, a annoncé vendredi s'être portée sur Cas de conscience (Bédouné tarikh, bedouné emza, en persan, No Date, No Signature en anglais) du réalisateur Vahid Jalilvand.

Sorti en Iran et en France en février, et aux États-Unis en août, le film a été primé deux fois à la Mostra de Venise (meilleur réalisateur et meilleur acteur en 2017) et récompensé par plusieurs autres festivals internationaux.

Il dépeint les tourments de deux hommes face à la mort d'un même garçon dont chacun (un médecin et le père de l'enfant) s'estime responsable, avec l'injustice sociale comme toile de fond.

Dans le communiqué annonçant son choix, la Fondation Al-Farabi a pris le devant des critiques.

«Chaque année», écrit-elle, «un vieux débat resurgit [en Iran] sur la nécessité ou non de présenter un film» pour l'Oscar du meilleur film étranger.

«Cette année», poursuit-elle, la décision des États-Unis de se retirer de l'accord international sur le nucléaire iranien de 2015 et de réimposer des sanctions économiques contre la République islamique «a rendu ce débat encore plus important et conduit certains [conservateurs, NDLR] à proposer de boycotter les Oscars».

«Intérêt à l'étranger»

La Fondation justifie sa décision de participer aux Oscars par le fait que «le cinéma américain, et en particulier les membres de l'Académie» qui organise la compétition, sont à la pointe de la critique «du gouvernement populiste [du président Donald] Trump et de ses politique empreintes de racisme et d'unilatéralisme».

Cas de conscience, ajoute-t-elle, a été choisi pour l'intérêt qu'il a suscité à l'étranger «et les efforts de son distributeur» pour faire voir le film aux États-Unis.

Ces arguments n'ont guère convaincu les éditorialistes des journaux ultraconservateurs Javan et Vatan-e Emrouz, qui s'en sont vertement pris dimanche au choix de la Fondation.

«Dans une manoeuvre conforme à la stratégie qu'utilise Trump dans ses entrevues et ses tweets, dans lesquels il présente l'Iran comme une nation abandonnée par l'espoir et plongée dans la pauvreté et la misère, Cas de conscience, le film le plus amer et le plus noir [possible] a été choisi pour les Oscars», déplore ainsi Javan.

Le journal reproche à la Fondation Al-Farabi d'avoir perdu «une occasion en or» d'expliquer au monde la Révolution iranienne et les objectifs du pays en «ignorant» le film À l'heure de Damas (Bé vaght-é cham).

Financé par les Gardiens de la Révolution, l'armée idéologique de la République islamique, ce film à grand spectacle sur l'engagement iranien dans la lutte antijihadiste en Syrie est sorti en mars en Iran, où il a totalisé officiellement plus de 1,62 million d'entrées, ce qui en fait le quatrième film le plus vu dans le pays cette année.

«Film caustique»

Pour autant, il n'a pas été présélectionné par la Fondation Farabi. Celle-ci indique avoir retenu trois films parmi 110 éligibles.

Les deux concurrents finaux de Cas de conscience étaient Tangé-yé Abou Qoraïb (La passe d'Abou-Qoraïb) du réalisateur Bahram Tavakoli, sur une des dernières batailles de la guerre Iran-Irak (1980-1988) et Chomareh 17 Soheila (Numéro 17 Soheila) de Mahmoud Ghaffari, sur la stigmatisation des vieilles filles en Iran.

«Tous les films proposés étaient bons, mais il y a un facteur décisif qui fait de Cas de conscience le meilleur choix: il a un distributeur étranger professionnel et performant [...] ce que les autres n'avaient pas», déclare à l'AFP le critique Houshang Golmakani, cofondateur de Film Magazine, mensuel iranien de référence sur le cinéma.

«C'est un film caustique» pour l'image de l'Iran, «mais ce n'est pas le sujet», ajoute-t-il: «L'art, ce n'est pas faire de la retape pour son pays.»

En 2017, le réalisateur iranien Asghar Farhadi avait remporté son deuxième Oscar du meilleur film étranger pour Le client, mais il avait boycotté la cérémonie d'Hollywood pour protester contre le décret migratoire controversé du président américain Donald Trump.