Le cinéaste français Jean-Jacques Annaud s'est déclaré «stupéfait» du retrait de son film franco-chinois Le dernier loup de la course à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, jugé insuffisamment chinois aux yeux du comité américain de sélection.

«On a fait notre film à partir d'un best-seller chinois, avec des acteurs entièrement chinois, dans des langues de la Chine - le mandarin et le mongol - et c'est une histoire qui a un contenu chinois. Je suis stupéfait», a déclaré lundi M. Annaud lors d'un entretien au téléphone avec l'AFP, qualifiant la décision américaine d'«insupportable».

Doté d'un budget d'une quarantaine de millions de dollars (35 millions d'euros), financé à 80 % par la Chine, Le dernier loup, treizième long métrage du réalisateur français, 71 ans, a été tourné dans les steppes de Mongolie-intérieure, dans le nord de la Chine.

Le film avait été choisi début septembre par Pékin pour représenter le pays aux Oscars, faisant grincer des dents une partie du milieu cinématographique chinois.

Jean-Jacques Annaud a déclaré avoir appris vendredi la disqualification du film, par une lettre «très charmante, mais dérangeante» de Mark Johnson, président du comité responsable d'évaluer l'éligibilité des films qui concourent pour cet Oscar.

Le comité américain y justifie son choix par le fait que la majorité de «l'apport artistique» du film ne vient pas de Chine et qu'une partie de l'équipe --le réalisateur, deux scénaristes, un des producteurs, le directeur de la photographie et le compositeur-- n'était pas chinoise.

«Ils me font rigoler, il me parlent d'une large équipe française, on était sept! Et il y avait 600 Chinois sur mon plateau, sans parler des acteurs, et ensuite 2000 personnes en post-production, toutes en Chine!», s'indigne le réalisateur.

«Merci au comité de sélection de laisser entendre que nos acteurs n'ont pas d'importance créative! Je suis sur le cul!».

La décision américaine intervient quelques semaines après que Le dernier loup ait été élu, en Chine, meilleur film chinois de ces deux dernières années, lors de la cérémonie bisannuelle des Coqs d'or, les «Oscars chinois».

Protectionnisme?

«Les règles changent sans arrêt. C'est arbitraire, comme dans une république bananière!», a dénoncé le cinéaste, lauréat de l'Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1977 avec La Victoire en chantant pour le compte de la Côte-d'Ivoire.

«J'ai eu l'honneur de faire un film chinois, comme il m'est arrivé de faire un film américain. Et on ne m'a jamais dit que mes films n'étaient pas américains», dénonce le réalisateur du film hollywoodien Stalingrad (2001).

«Hollywood, qui à ses débuts n'avait pas de talents, ne s'est jamais gêné pour en faire venir» d'Europe et d'ailleurs, et cela reste d'actualité, souligne le réalisateur de L'Amant (1991). «On n'a jamais dit que les films de Charlie Chaplin (britannique) n'étaient pas américains», s'indigne-t-il.

«Le cinéma américain pourrait donc se nourrir des talents étrangers, sans réserve. Mais le cinéma étranger, lui, devrait demeurer tribal? Si un Français veut faire, en français, un film avec un réalisateur américain, le film ne serait plus français ? C'est insupportable!».

Le metteur en scène assure être soutenu par les autorités chinoises. M. La Peikang, président de la société China Film Group, qui a co-produit le film, se serait ainsi dit «profondément choqué» et aurait assuré M. Annaud qu'une lettre d'explications a été envoyée au comité américain.

Mais le cinéaste estime que «les carottes sont cuites» et ne compte pas faire appel de la décision. Mais il entend être «à la disposition de (ses) producteurs chinois» afin de «connaître la marche à suivre».

«Les Chinois ont dû proposer à la dernière minute un autre film, et ça les tourmente beaucoup», assure Jean-Jacques Annaud, en référence à la comédie romantique «Go away Mr. Tumor».

«Je ne suis pas en train de cavaler après une nouvelle récompense», mais, à l'avenir, «ça va être un énorme problème pour les co-productions», a-t-il dit, s'interrogeant sur une éventuelle «mesure protectionniste» des États-Unis.

«Pourquoi la Chine ne pourrait pas avoir les mêmes possibilités qu'Hollywood? Peut-être qu'il y a une inquiétude américaine par rapport à l'internationalisation du cinéma chinois?»