C'est vrai. L'Amérique n'aime rien de mieux que de se congratuler elle-même. On la dit arrogante, fermée aux autres cultures, matamore dans sa façon d'imposer ses propres codes éthiques et moraux à la planète entière. De toutes les productions cinématographiques à connotation politique produites en 2012, l'Académie des arts et des sciences du cinéma a choisi de consacrer hier la plus contestable. Argo titille la fibre patriotique de l'Oncle Sam à un point où l'on frôle même l'indécence. C'est probablement d'ailleurs pourquoi le film de Ben Affleck, pour divertissant qu'il soit, a pu se faufiler jusqu'à l'honneur suprême sans qu'aucune voix ne s'élève pour dénoncer les fantaisies historiques empruntées pour l'occasion.

Zero Dark Thirty, un film infiniment supérieur, n'aura pas eu droit à la même grâce. Kathryn Bigelow pose dans son film des questions difficiles mais la cinéaste, première lauréate de l'Oscar de la réalisation il y a trois ans (The Hurt Locker), s'est fait vertement rabrouer par la classe politique. Qui a préféré nier ou dénoncer en bloc la problématique évoquée plutôt que d'en discuter. Lincoln est par ailleurs qualifié de chef-d'oeuvre par les férus d'histoire mais son caractère académique a joué contre lui.

Quoi qu'il en soit, il est vrai que les membres de l'Académie auront toujours tendance à célébrer les oeuvres plus consensuelles dans lesquelles on flatte l'Amérique dans le sens du poil.

Si ça se trouve, plusieurs d'entre eux ont voté l'an dernier pour The Artist sans savoir qu'il s'agissait d'une production entièrement française. Le film d'Hazanavicius rendait hommage au premier âge d'or hollywoodien - et à la grandeur du cinéma par la même occasion - probablement mieux que les Américains n'auraient pu le faire eux-mêmes.

En y regardant de plus près, force est d'admettre toutefois que dans les faits, l'Académie n'est pas aussi centrée sur elle-même qu'on pourrait le croire.

Forte de sa puissance et de son droit d'aînesse (les formules de toutes les autres remises de prix ont été copiées sur celle des Oscars), l'auguste organisation pourrait pourtant limiter son concours aux films américains et se contenter d'une catégorie aux films étrangers. C'est ce que font toutes les autres académies du monde. On parle du César du meilleur film français de l'année; du Goya en Espagne, du David di Donatello en Italie, du prix «Écrans canadiens» à Toronto, du Jutra au Québec...

Aux États-Unis, la course est plutôt ouverte à tous les films ayant pris l'affiche sur le territoire américain au cours de l'année, peu importe leur origine ou la langue dans laquelle ils ont été tournés.

La Grande-Bretagne, où l'on remet les BAFTA, est probablement le seul autre endroit au monde où cette politique d'inclusion est aussi en vigueur. D'où cette présence régulière de films ou d'acteurs étrangers dans les catégories de pointe.

En 2001, Tigre et dragon, un film en mandarin, a récolté pas moins de 10 nominations aux Oscars.

Il y a cinq ans, Marion Cotillard fut la lauréate de l'Oscar de la meilleure actrice grâce à un rôle dans La vie en rose, un film de langue française.

L'an dernier, un autre acteur français, Jean Dujardin, fut consacré. Hier, Amour, le remarquable film de Michael Haneke, lauréat prévisible de l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, était en lice pour cinq statuettes.

Doit-on rappeler que tant du côté des «Écrans canadiens» que de celui des Jutra, aucune catégorie n'est même ouverte aux productions étrangères? On peut déplorer ce chauvinisme-là aussi.