Pour une troisième année consécutive, le Québec s'apprête à retenir son souffle, en attente du moment où sera révélé le nom du lauréat de la fameuse statuette attribuée au meilleur film en langue étrangère. Jamais Kim Nguyen n'aurait toutefois pu imaginer que son film sur une enfant soldate africaine, entièrement tourné au Congo, le mènerait un jour au cénacle du cinéma hollywoodien. Rebelle est pourtant l'un des cinq longs métrages retenus dans la prestigieuse catégorie. En sa compagnie, refaisons le parcours d'un cinéaste qui s'est toujours fait un point d'honneur de sortir des sentiers battus.

Né au Québec en 1974 d'un père vietnamien et d'une mère venue d'Amqui - «là où personne ne s'arrête jamais», dit-il en riant -, Kim Nguyen a connu son premier véritable émoi cinématographique en allant voir The Empire Strikes Back à l'orée des années 80. Plus tard, lors d'un cours d'arts plastiques, il découvre la magie d'une chambre noire. Et la fascination de voir une photo apparaître progressivement. Le lien s'est alors fait naturellement dans l'esprit d'un cinéaste qui, au Québec, s'est démarqué en abordant des thèmes et des styles très originaux.

LA ROUTE (1997)

«Mon tout premier court métrage, réalisé dans un cadre semi-professionnel. Il est bien entendu imparfait, mais j'ai testé beaucoup de choses. C'est d'ailleurs là que j'ai pris conscience de l'importance du scénario. J'adorais particulièrement le cinéma de David Lynch et ce film était une forme d'hommage. Il s'agissait d'un drame qui dérivait vers l'humour noir. La route fait partie de ce genre de film indispensable, qui sert à se casser la gueule bien comme il faut!»

SOLEIL GLACÉ (2000)

«Ce court métrage de fiction se voulait une réflexion humaniste sur le Vietnam. Une allégorie sur la division d'un pays et les réconciliations nécessaires. Je suis fier du film, mais en même temps, j'ai constaté qu'il vaut peut-être mieux ne pas aborder ce genre de thème quand on ne l'a pas vécu soi-même. Je n'entretiens pas de liens étroits avec le pays d'origine de mon père. J'y suis allé il y a une dizaine d'années. J'ai tenté de commander une soupe dans la langue, mais le serveur m'a dit qu'il parlait seulement le vietnamien! Je ne la maîtrise pas du tout, en fait. Le Vietnam ne fait pas vraiment partie de ma réalité.»

LE MARAIS (2002)

«Mon premier long métrage ne s'inscrivait pas du tout dans le courant du cinéma québécois de l'époque. Cela explique probablement pourquoi il a suscité l'intérêt des institutions aussi rapidement. Moi qui voulais faire un petit film avec 250 000$, je me suis retrouvé à la tête d'une production dotée d'un budget 10 fois plus gros! Quand je revois le film aujourd'hui, j'aimerais retoucher les scènes de foule afin de les rendre plus convaincantes. À force de voir le film des centaines de fois pendant l'étape du montage, on a aussi tendance à vouloir compenser notre lassitude en mettant trop de musique. Il m'a fallu quelques films avant de me débarrasser de ce tic!»

LE GANT (2004)

«Ce court métrage de fiction s'inscrit dans une époque transitoire vers la technologie numérique. Ce film a uniquement servi de prétexte pour tester de nouvelles caméras. On s'était dit: aussi bien le faire avec un scénario et des comédiens.»

LA CHAMBRE Nº 13 (2006)

«J'ai eu l'occasion de tourner un épisode de cette série destinée à la télé. Super belle expérience. On m'a donné carte blanche. J'ai choisi de faire un hommage très libre à La métamorphose de Kafka. C'était un peu scato. Je suis attiré par les univers étranges. Dans une société de plus en plus aseptisée, tant sur le plan physique qu'intellectuel, je trouve qu'il est important de rappeler que nous sommes faits de chair, de sang et de merde. »

TRUFFE (2007)

«Ce long métrage est venu à un cheveu de se retrouver à la Semaine de la critique du Festival de Cannes. Nous sommes passés près d'aller à Venise aussi. L'autodérision dans ce film est pleinement assumée, mais cet aspect-là n'a pas été bien compris par tous. Honnêtement, j'ai fermement cru que Truffe allait marcher. Le casting était magnifique: Roy Dupuis, Céline Bonnier. Et puis, Michèle Richard est embarquée là-dedans avec beaucoup de générosité. Il aurait fallu deux fois plus de gore.»



LA CITÉ (2010)


«J'estime qu'au Québec, nous disposons de l'un des meilleurs systèmes de financement pour le cinéma. Avec La cité, je ne suis pourtant pas parvenu à imposer ma vision. Comme le film était de surcroît coproduit avec la Suisse et la Tunisie, il y a eu trop d'intervenants, trop d'avis, trop d'opinions divergentes. On a perdu la voie en cours de route. J'en prends l'entière responsabilité, cela dit. J'aurais dû faire preuve de plus d'autorité. Ce film aurait pu être plus cru, moins policé. Il y a trop de vernis, en fait. Une expérience comme celle-là est un peu lourde à porter quand même. Surtout quand tu dois aller défendre ton film dans différents festivals et que tu sais très bien qu'il n'est pas à la hauteur de ton ambition.»

REBELLE (2012)

«C'est le premier film où ce que je vois à l'écran correspond en tous points à ma vision au départ, même à l'époque où le scénario n'était pas encore écrit. C'est assez rare dans une carrière de cinéaste, je crois. Aujourd'hui, à la veille de la cérémonie des Oscars, j'essaie de rester serein, mais c'est impossible. Je m'aperçois à quel point les Oscars - et le mythe hollywoodien - occupent une place importante dans l'imagination des gens.»