Micheline Lanctôt n'est pas étrangère aux cérémonies. Il y a un peu plus de 40 ans, elle était élue «découverte féminine de l'année» au gala Méritas, le vague ancêtre du gala Artis. Elle était montée sur scène en compagnie d'un tout jeune garçon, un dénommé René Simard, lauréat du côté masculin. C'était dans la foulée de La vraie nature de Bernadette, bien sûr.

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Le film du grand Gilles Carle avait révélé au monde, et jusqu'à la Croisette s'il vous plaît, une jeune actrice de tempérament, à la voix unique, qui donnait corps à cette jeune femme en rupture, confrontée à la naïveté de sa conception du «retour à la terre».

«Jamais je n'aurais pu imaginer le parcours qui est le mien, a confié l'actrice et réalisatrice à La Presse lors d'une interview accordée plus tôt cette semaine. Quand Gilles m'a proposé le rôle de Bernadette, j'évoluais dans un univers complètement différent, celui du dessin animé. Ma vie est une longue suite de belles rencontres !»

Longue suite de belles rencontres, assurément. Mais pas un long fleuve tranquille. Ça, non. Après avoir enchaîné quelques rôles, Micheline Lanctôt s'exile à Los Angeles pendant quelques années. Par amour. Et sans aucune ambition particulière.

«Ma carrière d'actrice est vraiment étrange, reconnaît celle qui, aujourd'hui, monte Autrui, son huitième long métrage de cinéma à titre de réalisatrice. J'ai commencé en lion avec Bernadette, puis j'ai fait beaucoup de choses en peu de temps. J'ai joué dans Voyage en grande Tartarie, le premier film de Jean-Charles Tacchella. Puis il y a eu The Apprenticeship of Duddy Kravitz et ensuite Les corps célestes avec Gilles. Quand je suis partie, certains ont cru que je tournais le dos au Québec, sans comprendre que cela n'avait rien à voir avec une envie de faire carrière à Hollywood. J'étais vraiment amoureuse. Je n'ai pratiquement plus trouvé de grands rôles au cinéma par la suite.»

«Vers la fin de cette époque, poursuit-elle, il y a eu la télé. Je faisais très souvent la navette entre Los Angeles et Montréal pour venir jouer le rôle de Marie-Josée Lafleur dans Jamais deux sans toi.

Écrire par nécessité

C'est d'ailleurs pour se replonger dans la langue de Molière que Micheline Lanctôt s'est mise à l'écriture alors qu'elle vivait encore à l'ombre du boulevard du Crépuscule. Un premier scénario est né, celui de L'homme à tout faire. Séduit, le producteur René Malo peine pourtant à trouver un réalisateur pour porter ce bon scénario à l'écran.

«Pourquoi ne le réaliserais-tu pas toi même ? m'a-t-il demandé. Et j'ai répondu : pourquoi pas ! Ce n'était pas un plan de vie ; je n'entretenais pas non plus d'ambition de cinéaste. Encore aujourd'hui, je doute. Mais je pense que ce métier-là est fait pour moi, qu'il me convient. J'ai beaucoup appris et, par la force des choses, beaucoup évolué aussi en tant que réalisatrice. Je n'ai pas l'impression d'avoir fait le tour du jardin encore.»

Sonatine, dont on célèbre le 30e anniversaire cette année, lui vaut un Lion d'argent à la Mostra de Venise. C'est aussi à cette époque que Micheline Lanctôt se découvre une vocation de pédagogue. Après une discussion animée à propos de L'homme à tout faire, l'un des créateurs du programme cinéma de l'Université Concordia de Montréal lui offre de venir enseigner le jeu à ses étudiants.

Au début, tout se déroulait en anglais. Faisant valoir les profondes différences culturelles entre anglos et francos qui assistaient à ses cours, l'actrice obtient de la direction la formation de deux groupes distincts. Encore aujourd'hui, Micheline Lanctôt enseigne à Concordia. Elle s'implique aussi beaucoup auprès des jeunes. Pour une troisième année consécutive, elle est la marraine du Prix collégial du cinéma québécois.

Le succès : une exception!

Quant à la fameuse crise du cinéma québécois, celle qu'évoquent surtout les exploitants, Micheline Lanctôt ne voit aucune raison de s'alarmer.

«Il faut comprendre que depuis toujours, le succès d'un film au cinéma relève de l'exception, dit-elle. C'est encore le cas aujourd'hui. Personne ne peut prévoir le succès. Quand un film trouve son public, c'est une joie pour tout le monde. Quand il ne le trouve pas, cela n'est pas nécessairement la faute du film, particulièrement au Québec. Je me tue d'ailleurs à toujours le rappeler.»

«Ceux qui évoquent la crisette ne comprennent pas les structures de distribution et d'exploitation dans lesquelles on doit manoeuvrer, ajoute-t-elle. Nos films meublent des trous entre les productions hollywoodiennes et sont éjectés dès qu'un nouveau film américain arrive. Ça prend une volonté politique pour corriger ça. Le lobby hollywoodien est tellement puissant que les gouvernements plient sous les menaces.»

Femme de paroles, Micheline Lanctôt ne compte pourtant pas faire de l'hommage qui lui sera rendu ce soir un moment de revendication.

«Je dispose déjà de très belles tribunes pour m'exprimer, fait-elle remarquer. Notamment à Bazzo.tv [elle y est éditorialiste invitée]. Je suis touchée de l'honneur qu'on me fait et je vais simplement me contenter de le prendre avec grâce, élégance et humour. Ce sera suffisant ! »