André Forcier recevra ce week-end un Iris hommage pour ses 50 ans de carrière. Le cinéaste de L'eau chaude, l'eau frette et d'Au clair de la lune doit tourner au cours de l'été son prochain long métrage, La beauté du monde, mettant en vedette Roy Dupuis, dans le rôle d'un dissident d'une entreprise de type Monsanto, et Yves Jacques, en frère Marie-Victorin réincarné. Discussion avec l'infatigable enfant terrible du cinéma québécois.

Ce prix hommage vient couronner votre carrière...

Je pense que j'étais dû.

Vous n'en avez pas gagné tant que ça, des prix...

J'ai quand même une trentaine de trophées.

Qu'est-ce que celui-ci signifie pour vous?

C'est un prix qui me fait plaisir.

Vous dites que vous étiez dû. En même temps, certains de vos plus récents films comptent parmi vos meilleurs. Est-ce que vous recevez ce prix hommage en vous disant: «Attendez, j'ai pas terminé»?

J'ai encore des idées plein la tête et puis je ne suis pas près de prendre ma retraite.

On aurait pu attendre encore avant de vous le remettre...

Oui. Mais je le prends. Il arrive au bon moment.

C'est-à-dire?

Je vais tourner cet été La beauté du monde.

Est-ce que ça peut faciliter les choses? Vous aider à financer votre prochain film?

Je ne sais pas dans quelle mesure ça peut influer sur les institutions. Je ne suis pas capable de le mesurer.

Depuis combien de temps produisez-vous vos propres films?

Depuis Le retour de l'Immaculée Conception (1971), que j'ai tourné sans l'aide des institutions, en vivotant un peu.

Ça s'est imposé, le fait de produire vos films vous-même?

On a produit plusieurs de nos films à compte d'auteur: Acapulco Gold, Je me souviens, Coteau Rouge, Embrasse-moi.

Je suis tombé par hasard sur Coteau Rouge, cette semaine à ARTV...

Je n'ai pas voulu le revoir.

Non?

C'est un film fauché. On avait investi 450 000 piasses dans Je me souviens parce que les vols d'avion en Abitibi coûtaient cher. On attendait une réponse pour Les États-Unis d'Albert, que je devais tourner en anglais, mais la SODEC a trouvé que Forcier en anglais, ça n'avait pas d'allure. Alors qu'à 12 ans, je mélangeais les deux langues à Greenfield Park, où j'ai grandi. J'ai désappris d'une certaine manière l'anglais, mais des fois, ça me revient.

À quel point, dans votre carrière, avez-vous été à la merci du financement?

Pour ce qui est du contenu, on est à la merci du financement. Quand j'ai tourné Au clair de la lune, on faisait boire à nos acteurs du sirop Benylin à la codéine. Parce qu'il y avait un groupe de musique très connu qui se dopait à la codéine. Les gars achetaient du Benylin, ils mettaient ça dans le fridge, la codéine remontait à la surface et ils se dopaient avec ça. Aujourd'hui, tu pourrais jamais faire ça. On fait une friture de poisson d'aquarium, ciboire, et on a la SPCA sur le dos! Il y a une certaine censure qui s'installe, pour des questions d'assurances.

La manière de faire des films a beaucoup changé?

À l'époque, la notion de département n'existait pas. Je déteste la notion de département. Truffaut disait qu'on faisait des films avec ses amis. Je pense aussi qu'on devrait faire des films avec nos amis. La première fois, câlisse, que j'ai entendu parler du département de caméra, du département de son, du CCM [costumes, coiffure, maquillage], je me suis dit: «Tabarnak, ça a pas d'allure de compartimenter l'exercice cinématographique comme ça.» Il reste qu'on s'entend très bien quand même.

Vous travaillez avec des habitués...

Malheureusement ou heureusement, ce sont souvent les mêmes. À ma défense, je ne suis pas le seul cinéaste à le faire. Je pense qu'Arcand fait ça aussi.

Comme Arcand, vous avez brièvement été réalisateur à l'Office national du film (ONF). C'était plus facile de faire des films à cette époque?

J'ai été engagé au début des années 80 comme réalisateur de fiction. On n'avait pas encore évacué la fiction de l'ONF. Il y avait plusieurs cinéastes qui ne faisaient pas de fiction et qui voulaient que l'ONF s'oriente davantage vers le documentaire. J'ai pu finir Au clair de la lune, que j'avais produit au privé, grâce au soutien de l'ONF. Mais il y avait, à l'intérieur de l'ONF, des cinéastes qui trouvaient ça scandaleux qu'un film du privé soit repêché par le public. J'avais une bonne partie des cinéastes notoires contre moi.

Ça n'a donc jamais été facile?

Je ne l'ai jamais eue trop facile.

Quand on dit que vous êtes l'enfant terrible du cinéma québécois, est-ce parce que vous l'avez voulu?

Michel Coulombe, que j'estime quand même beaucoup, avait déclaré à la sortie de Je me souviens que je m'étais autoproclamé l'enfant terrible du cinéma québécois. Ce n'est pas vrai. Ce sont des journalistes de Toronto qui m'ont coiffé de ça. Jamais je n'aurais eu l'outrecuidance de me proclamer l'enfant terrible du cinéma québécois. Ça m'a collé au cul. À 70 ans, je suis bien content d'être encore l'enfant terrible du cinéma québécois.

Votre oeuvre est née de toutes sortes de difficultés. Vous avez hypothéqué votre maison...

J'habitais dans un ostie de beau quartier, Collectivité nouvelle. Comme on m'empêchait de tourner en anglais, j'ai fait l'erreur de le tourner en français, avec une patente de coproduction. Le film a perdu beaucoup du poil de la bête à cause de cette obligation de tourner le film à la française. Disons qu'on va changer de sujet.

Vous avez dû vous battre pour faire vos films...

J'ai des amis qui ne comprennent pas comment je peux tougher ça à 70 ans.

Comment?

J'ai le feu sacré, peut-être. Mais pour mon dernier film, Linda [Pinet, sa compagne et productrice] m'a dit que si je voulais qu'elle produise, je devais écrire mon prochain scénario avec mes deux gars.

C'est un film en famille, donc...

Bah... on peut appeler ça du népotisme ! Pour en rajouter, je te dirais qu'il y a aussi mon cousin dans l'équipe de scénarisation et que Linda s'en mêle aussi. Ç'a été le fun parce que mes gars, qui ont beaucoup de talent, m'ont ouvert l'esprit. Il y a des punks dans le film ! Je n'y avais jamais pensé.

Est-ce que vous imaginez un jour ne plus faire de films?

Je ne suis pas sûr que je vais me rendre jusqu'à 103 ans comme le réalisateur portugais!

Manoel de Oliveira...

Mais pour le moment, je touche du bois [il cogne sur la table]. Je suis encore capable. Je vais avoir 71 ans le 19 juillet et je vois mes chums qui ont des maux de dos épouvantables. On a un conventum de l'Externat classique de Longueuil et il y a une gang dont j'ai appris la mort. Ça m'a affecté. Je suis content d'être encore actif. Je n'ai jamais imaginé la retraite.

Lorsque vous jetez un regard rétrospectif sur l'ensemble de votre oeuvre, êtes-vous satisfait?

J'aime mes films, quoique je déteste les revoir.

Est-ce que vous avez des regrets?

C'est sûr que tu regardes ça... Moi, il y a un film que j'aime assez qui s'appelle Le vent du Wyoming. Arcand m'a dit: «Y'est beau, ton film, mais il manque le Wyoming.» Je voulais tourner le Wyoming à la fin, mais mes producteurs ne voulaient pas.

Je voulais vous parler de Netflix...

Merci d'aborder le sujet. Netflix, c'est un vol à main armée. Quand tu dis que le budget de production de films n'a pas été augmenté depuis 15 ans à Téléfilm Canada... Je ne veux pas être stupidement habile, mais c'est pas la faute des fonctionnaires qui sont là. Ils n'ont pas beaucoup d'argent et des choix difficiles à faire. À la SODEC, c'est pareil.

Et Netflix?

On aurait dû taxer Netflix et investir ces argents-là directement dans la production de films canadiens. Je suis content pour Robin [Aubert] que j'estime énormément, mais moi, je ne fais pas des films de zombies. Pour moi, le cinéma, ça se voit dans des salles. Mais les salles vont disparaître. Les gens regardent les films sur leur télévision ou leur ostie d'ordinateur. Je ne suis pas capable. Pour moi, voir un film, c'est aller au cinéma avec ta blonde, acheter du popcorn, et être dans une salle noire. J'espère que les gens vont redécouvrir le plaisir de voir un film en salle.