La Soirée des Jutra n'est plus. Place au Gala du cinéma québécois 2016. Derrière ce changement de nom se cache une opération d'envergure dont la forme emprunte celle d'une véritable gestion de crise. Retour sur l'affaire Jutra en quelques dates marquantes.

Samedi 13 février

Quelques jours avant la publication de la biographie qu'Yves Lever consacre à Claude Jutra, La Presse fait écho à un passage du livre dans lequel on évoque de façon anonyme les «pratiques pédophiles» du réalisateur de Mon oncle Antoine. Deux jours plus tard, Québec Cinéma réagit officiellement en prônant la prudence. On annonce aussi la formation d'un conseil de sages.

«Nous avons convoqué une réunion du comité exécutif très rapidement, indique Ségolène Roederer, directrice générale de Québec Cinéma. En situation d'urgence, ce comité peut se réunir sans l'aval de tout le conseil d'administration.»

Ce comité est composé du président (Patrick Roy), du vice-président des affaires (Serge Paquette), du vice-président du cinéma (Marcel Jean) et du secrétaire-trésorier (Maurice Prud'homme).

Lundi 15 février

Remise des certificats aux finalistes lors d'une soirée spéciale organisée en leur honneur. La direction de Québec Cinéma reste aux aguets à propos d'une situation qui évolue d'heure en heure. «On ne voulait surtout pas que les artisans aient à souffrir de la situation, souligne Diane Leblanc, directrice des communications. Cela reste toujours notre préoccupation principale. Si nous étions encore dans l'incertitude aujourd'hui, la situation serait intenable. Mais nous n'en sommes plus là. Il règne un consensus rassurant au sein des équipes. Jamais nous n'aurions pu imaginer devoir un jour gérer une situation comme celle-là.»

Mercredi 17 février

Une présumée victime se confie longuement au journaliste Hugo Pilon-Larose. La publication de ce témoignage dans La Presse+ incite la direction de Québec Cinéma à changer immédiatement le nom de la Soirée des Jutra.

«Dès 3 h 15 cette nuit-là, des collègues complètement bouleversés m'envoyaient des messages, rappelle Ségolène Roederer. À 6 h, j'ai écrit à notre président pour lui signaler que cette situation était intenable et qu'il fallait changer le nom du gala. Le comité exécutif s'est réuni à 7 h 15. La décision devait ensuite être entérinée par le conseil d'administration, mais dans notre esprit, elle était déjà clairement prise. Il n'a jamais été question d'annuler le gala ni de le reporter non plus. Une conférence de presse a été organisée pour midi.»

Jeudi 18 février

Jour d'ouverture des Rendez-vous du cinéma québécois, un événement organisé aussi par Québec Cinéma.

«Pour le gala, nous avons quand même eu le temps de nous retourner, fait remarquer Diane Leblanc. Mais les Rendez-vous du cinéma québécois, c'était tout de suite. Même si le nom de Claude Jutra était moins directement associé à cet événement, il restait quand même très présent là aussi. Il a fallu modifier les discours, identifier tous les endroits où l'on pouvait intervenir. Aux Rendez-vous, il y avait notamment une petite bande-annonce dans laquelle on pouvait voir Claude Jutra en photo. Il a fallu la modifier. Nous sommes alors dans l'action, pas dans le procès. Quand même, c'est très dur.»

Samedi 20 février

Une deuxième victime prend la parole publiquement et témoigne dans La Presse+. Il s'agit du scénariste Bernard Dansereau, fils du cinéaste Fernand Dansereau et filleul de Claude Jutra. À Québec Cinéma, le processus de changement est déjà engagé depuis quelques jours. On doit revoir le programme, les mots des dignitaires, penser à relancer le gala sur de nouvelles bases, concevoir une nouvelle imagerie.

«Cette édition sera unique, précise Ségolène Roederer. Il est entendu que le nom est provisoire. Le trophée aussi. Une fois que le gala aura eu lieu, nous pourrons alors réfléchir à la suite des choses.»

Mardi 23 février

La fête annuelle du cinéma québécois se donne officiellement un nom provisoire. Elle s'inscrira dans l'histoire comme le Gala du cinéma québécois 2016.

Mardi 15 mars

Québec Cinéma dévoile son comité de sages. Suzanne Coupal, juge à la retraite, Jocelyn Aubut, médecin psychiatre, René Villemure, éthicien, et Charles Binamé, cinéaste, ont accepté l'invitation de faire partie de ce comité. «Sa mission est d'aider l'organisme à trouver l'équilibre et la justesse dans les décisions présentes et à venir prochainement», lit-on dans un communiqué.

«Cette affaire est très douloureuse, reconnaît Diane Leblanc. Il y a un grand deuil à faire. Le travail de réflexion ne fait que commencer. Quand j'ai reçu la bande-annonce modifiée des Rendez-vous, dans laquelle le visage de Claude Jutra a été effacé, j'avoue avoir eu un choc. C'est clair que nous n'avons pas fini de mesurer les conséquences d'une histoire comme celle-là sur le plan humain.»