En s'inspirant d'une histoire véridique survenue il y a près de 40 ans, Spike Lee retrouve ses repères avec BlacKkKlansman, un film à la fois drôle et tragique, qui fait directement écho à la question raciale, telle que discuté aux États-Unis depuis que Donald Trump est au pouvoir. Le réalisateur de Do the Right Thing n'avait pas offert un film aussi percutant depuis un bon moment. Cinq bonnes raisons d'aller le voir.

Parce que Charlottesville, c'était il y a un an

BlacKkKlansman sort sur les écrans pratiquement un an jour pour jour après les manifestations de Charlottesville. Cette date n'a certes pas été choisie au hasard. Lors de la présentation du film au festival de Cannes, où il a obtenu le Grand prix, Spike Lee avait expliqué en quoi l'événement, au cours duquel une militante antiraciste a été tuée, était intimement lié à son film : 

« Les violences de Charlottesville sont survenues alors que le tournage était déjà fini, mais j'ai tout de suite su que ces images devaient être dans le film, a-t-il déclaré. Avant, j'ai tenu à téléphoner à Susan Bro, la mère de Heather Heyer, la jeune femme tuée quand cette voiture a foncé sur les manifestants. Je ne voulais pas insérer cette scène de meurtre sans sa bénédiction. Elle m'a dit : "Spike, je vous donne la permission." Après, j'ai dit fuck tout le monde, cette putain de scène va rester dans ce putain de film. Parce qu'il y a eu meurtre. Et nous avons un type à la Maison-Blanche, dont je ne dirai même pas le putain de nom, qui avait la chance de dire, à nous et au monde, que l'Amérique est amour plutôt que haine. Or, il n'a pas dénoncé le Ku Klux Klan, l'alt-right, et tous ces putain de nazis. Il aurait pu dire que nous sommes meilleurs que ça. On regarde nos leaders pour qu'ils nous inspirent et pour qu'ils prennent de bonnes décisions sur le plan moral. La bullshit de droite se retrouve maintenant partout dans le monde. Nous devons nous réveiller. Nous ne pouvons pas rester silencieux. Cela nous concerne tous. »

Pour l'atmosphère des années 70

L'intrigue étant campée dans les années 70, il émane de BlacKkKlansman une atmosphère inspirée des films de la « blaxploitation », ce courant cinématographique de l'époque mettant en valeur des artisans afro-américains. The Shaft ou Superfly ? demande-t-on dans le film, de la même façon qu'on demandait à l'époque The Rolling Stones ou The Beatles ? Tant sur le plan musical que de la direction artistique, des costumes et des coiffures, ce film constitue un véritable voyage au coeur de la culture de l'époque. « Nous voulions vraiment un look des années 70 sur le plan cinématographique aussi, précise Spike Lee. Nous l'avons même tourné avec de la pellicule ! »

Pour l'histoire, incroyable mais véridique

Ron Stallworth, qu'incarne John David Washington dans le film, est un personnage réel. Premier Afro-Américain à avoir été embauché au Colorado Springs Police Department, M. Stallworth est reconnu pour avoir infiltré l'organisation du Ku Klux Klan, qui recrutait à l'époque de nouveaux membres pour installer une nouvelle branche au Colorado. En signalant un numéro indiqué dans une petite annonce du journal local, le policier s'est fait passer pour un raciste qui déteste les Noirs, les Juifs, les Mexicains et les Asiatiques. Le subterfuge s'est poursuivi quand un collègue policier blanc a été délégué pour rencontrer en son nom le chef de l'organisation dans un bar. Cette histoire est restée secrète jusqu'en 2006, soit jusqu'au moment où Ron Stallworth a pris sa retraite des forces policières. Le scénario de BlacKkKlansman est tiré d'un récit autobiographique qu'il a publié en 2014.

Pour un acteur qui se fait un prénom

Le rôle de Ron Stallworth a été confié à John David Washington. Washington comme... Denzel Washington, dont il est le fils aîné. Âgé de 34 ans, l'acteur a tenu un petit rôle à 8 ans - une seule réplique - dans Malcolm X, l'un des films marquants de Spike Lee, et l'un des rôles phares dans la carrière de son illustre père. Par la suite joueur de football professionnel (il fut notamment recruté à titre d'agent libre par les Rams de St. Louis en 2006), John David Washington a renoué avec le jeu en décrochant un rôle récurrent dans Ballers. Cette série de HBO, dans laquelle il donne la réplique à Dwayne Johnson, est justement campée dans le milieu du football professionnel. « J'ai toujours voulu être acteur, mais à cause de la notoriété de mon père, j'ai tout fait pour me faire un nom ailleurs. Et j'en ai payé le prix physiquement », a-t-il déclaré lors d'une entrevue au Los Angeles Times. John David Washington a dû abandonner le football à 28 ans après avoir subi de multiples blessures. Il estime que, d'une certaine façon, rien de mieux ne pouvait lui arriver puisqu'il a pu se présenter alors à l'audition pour la série Ballers. Les projets s'enchaînent depuis.

Parce que c'est un film de Spike Lee

Même si aucun des films qu'il a réalisés depuis 10 ans n'a eu le même retentissement, Spike Lee reste l'une des voix les plus importantes du cinéma américain. Sur le plan social, il occupe pour les Afro-Américains un peu le même rôle qu'a joué naguère Pierre Falardeau au Québec dans l'imaginaire collectif. L'arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis a visiblement fouetté les ardeurs militantes d'un cinéaste dont les films illustrent souvent les drames de la condition afro-américaine. « Tout ce qui arrive maintenant n'arrive pas par hasard, a-t-il déclaré à Cannes, en mai dernier. La source remonte au début des années 70 et à la guerre du Viêtnam. Je crois en l'espoir, cela dit. Mais je ne suis ni aveugle ni sourd. J'espère simplement que ce film contribuera à sortir les gens de leur torpeur. Quand Do the Right Thing est sorti, certains m'ont reproché de ne proposer aucune solution pour enrayer le racisme. Je n'ai évidemment pas cette solution. Mais la raison d'être d'un tel film est de susciter une discussion. Cela s'applique aussi à BlacKkKlansman. On ne peut garder le silence, car il nous ferait complice de ce qui se passe. Je sais que nous sommes du bon côté de l'Histoire avec ce film. »

BlacKkKlansman (Opération infiltration en version française) est présentement à l'affiche.

Photo archives Associated Press

Spike Lee au Festival de Cannes.

Photo fournie par Universal Pictures

Adam Driver et John David Washington