En près de 25 ans à titre de régisseur d'extérieurs, Pierre Blondin a contribué à transformer Montréal et ses banlieues pour donner l'impression à l'écran de se trouver à New York, quelque part en Europe, au New Jersey ou dans un secteur rural cossu de la Nouvelle-Angleterre.

Les tournages étrangers ont connu un essor dans la ville ces derniers temps, stimulés par des mesures fiscales incitatives, une architecture variée, un appétit sans fin pour la diffusion en continu en ligne et la présence de plusieurs grands studios et sociétés d'effets visuels spécialisés dans la postproduction.

L'an dernier, les investissements étrangers dans les tournages et en production audiovisuelle ont totalisé 645 millions $ au Québec, ce qui inclut les 23 productions étrangères qui ont tourné dans la province, dont plusieurs à Montréal, selon le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ).

Bien que peu de récits se déroulent réellement dans la ville, M. Blondin affirme qu'il est courant depuis des décennies de faire passer un lieu pour un autre, généralement pour des raisons de budget ou de calendrier.

«La tricherie est à grande échelle (...) mais vous vous en sortez, car ce qui compte dans un film, c'est l'action», a fait valoir M. Blondin, âgé de 61 ans.

«Si vous regardez un film et scrutez l'arrière-plan, c'est parce que l'histoire est très ennuyeuse», a-t-il soutenu.

Même si son industrie du tournage n'est pas aussi importante que celle de Toronto ou de Vancouver, Montréal offre une variété d'architectures que l'on ne trouve pas ailleurs.

En particulier, l'architecture de certaines parties du Vieux-Montréal lui permet de passer pour certaines parties de l'Europe, tandis que d'autres secteurs du Vieux-Port et du centre-ville rappellent davantage New York.

Patricia Durocher, directrice de lieux de tournage qui travaille principalement avec des coproductions québécoises ou québécoises-européennes, a indiqué avoir utilisé Montréal et sa banlieue dans son plus récent film pour représenter plusieurs États américains, dont le Kansas, le Vermont, le New Hampshire et New York.

The Hummingbird Project, qui raconte l'histoire de deux entrepreneurs qui construisent une ligne de fibre optique, fera ses débuts au Festival international du film de Toronto cette année.

«Au cours des deux dernières années, beaucoup de productions ont représenté les États-Unis en général, en particulier les banlieues, et le cadre au Québec est vraiment très similaire», a-t-elle déclaré.

Un mélange d'imagination et de travail créatif

Mais son plus grand défi, a-t-elle souligné, a été de chercher des scènes intérieures pour représenter la Jordanie, pays du Proche-Orient, lors du tournage en 2010 du drame Incendies de Denis Villeneuve, nommé aux Oscars.

«Toute notre architecture est si différente de là-bas», a-t-elle souligné.

«Les interrupteurs d'éclairage sur le mur sont différents, et les matériaux de construction qu'ils utilisent, nous n'en avons pas ici», a souligné Mme Durocher.

En fin de compte, a-t-elle dit, l'illusion a été réalisée grâce à un mélange d'imagination et de travail créatif du département artistique.

Et si la concordance n'est pas parfaite, il y a toujours des effets visuels qui peuvent être utilisés pour effacer quelques arbres ou ajouter des étages aux bâtiments de Montréal, qui sont moins hauts que ceux de New York.

En tant que responsables des lieux de tournage, M. Blondin et Mme Durocher interviennent à chaque étape de la production, en repérant des lieux, en négociant avec les propriétaires, en établissant des calendriers et en veillant à ce que tout soit en parfait état.

Mais bien que l'essor des tournages leur ait donné beaucoup de travail, ils soulignent tous deux que cela ne va pas sans certains inconvénients.

Selon Mme Durocher, les productions américaines à gros budget ont tellement fait grimper le prix des locations que le secteur québécois du cinéma et de la télévision de langue française peut difficilement se permettre de les payer.

«(Les Américains) veulent quelque chose et ils l'achètent à tout prix», a-t-elle expliqué.

«Mais quand vous avez besoin de ce même lieu, que vous faites une production locale, monsieur et madame tout le monde ne comprennent pas la différence et demandent le même prix», a-t-elle indiqué.

Selon elle, les productions américaines sont parfois moins respectueuses des quartiers dans lesquels elles tournent, ce qui rend les citoyens réticents à autoriser les tournages ultérieurs.

Mais en même temps, elle souligne que ce n'est pas tout noir ou tout blanc, car les productions locales bénéficient également des compétences et des membres d'équipes qui ont acquis une expérience précieuse sur les tournages américains.

Les tracas des grosses productions

M. Blondin, qui travaille principalement avec des productions américaines, note pour sa part qu'il est de plus en plus difficile de trouver des lieux pouvant accueillir des productions de plus en plus grosses - qui peuvent comprendre 20 remorques et plus de 100 collaborateurs.

Il dit se donner beaucoup de mal pour réduire les tracas pour les entreprises locales et les résidants, notamment en commandant des paniers-cadeaux haut de gamme pour chacun des invités d'un hôtel, en louant des navettes pour transporter des résidants ayant perdu leur place de stationnement ou en acceptant d'effectuer des réparations électriques dans une école louée en tant que plateau de tournage.

En fin de compte, affirme-t-il, les citoyens apprécient généralement le processus, mais il est de plus en plus difficile de les convaincre à l'avance.

Selon M. Blondin, malgré toute l'aide d'une équipe de la Ville de Montréal et du BCTQ, il devient de plus en plus difficile d'obtenir des permis de tournage en raison de craintes liées au stationnement, aux fermetures de rues et autres inconvénients.

Pour cette raison, explique-t-il, il est peu probable que Montréal accueille le tournage d'un film d'action majeur comme Terminator ou Mission impossible, car de nombreuses autorités hésitent à accepter d'importantes fermetures de rues ou l'utilisation de certaines infrastructures.

Il espère que les gens se souviendront qu'au bout du compte, des prises de vues cinématographiques et télévisuelles donnent un produit apprécié par des millions de personnes et que chaque production fournit des centaines d'emplois aux Québécois.

«Vous devez vous rappeler que nous nourrissons des familles», a-t-il affirmé. «Vous devez être prêt à faire des sacrifices pour l'économie afin que les gens puissent gagner leur vie.»