En 1995, Alexandre Chartrand avait 18 ans. Il travaillait dans un McDo et cherchait encore son angle sur le monde. Le jour du référendum, il a voté Non à l'indépendance du Québec, sans être trop sûr de son choix.

« J'ai vraiment mordu à l'argument de la peur, dit-il, presque gêné. J'étais sûr que le Oui passerait. Quand j'ai vu le résultat, je me suis senti super coupable. »

Vingt-deux ans plus tard, Alexandre est officiellement devenu souverainiste. Mais faute de pouvoir se déculpabiliser au Québec, c'est à la cause catalane qu'il s'associe désormais. Installé à Barcelone depuis plus de trois semaines, il réalise actuellement son second film sur la montée de l'indépendantisme catalan.

Son documentaire précédent, Le peuple interdit, chroniquait les événements menant au référendum avorté de 2014. Sorti en 2016, le film a connu une belle vie à la télé et dans les festivals. Mais alors que les Catalans voteront dimanche pour l'indépendance, le cinéaste ne pouvait s'empêcher de tourner la suite.

« C'est un moment historique. Il y a des possibilités que le visage de l'Europe soit changé. Il fallait raconter ça. »

Son nouveau film reprend là où s'achevait le précédent. Le réalisateur a suivi le leader séparatiste Arturo Màs dans ses déplacements, interviewé à plusieurs reprises le chansonnier-nationaliste-devenu-politicien Luis Illach et investi les coulisses d'un mouvement indépendantiste en pleine réorganisation, avec l'intention de raconter toute cette histoire de l'intérieur.

Jusqu'ici, la partie n'a pas été facile, raconte-t-il, devant un café con leche et une assiette de croquetas, près de l'Arc de triomphe de Barcelone. Sollicités par les médias et rendus méfiants par leur bras de fer avec le gouvernement central, les partis concernés n'ont pas ouvert la porte aussi facilement qu'en 2014. « Disons que je n'ai pas eu accès aux états d'âme du premier ministre », déplore-t-il.

Qu'à cela ne tienne. Alexandre et son équipe ont amplement eu de quoi tourner dans la rue, où la fébrilité ne cesse de croître depuis l'adoption de la loi référendaire déclarée illégale par Madrid. Le déferlement de manifestations indépendantistes, incluant celles qui ont suivi les démonstrations de force de la Guardia Civil (police nationale espagnole), lui a donné plus de matière qu'il n'en faut pour produire un long métrage de trois heures sur le droit d'un peuple à disposer de lui-même. Chaque jour, le cinéaste est sur le terrain, comblé par des événements qui se bousculent.

« Je ne veux rien manquer », dit-il, en attendant impatiemment le référendum de dimanche.

L'expérience outre-atlantique

Ça prenait bien un Québécois pour faire un film sur le référendum catalan. Leur expertise en la matière est bien connue, et fait d'ailleurs l'envie de plusieurs Catalans.

Les deux nationalismes sont cependant très différents, juge Alexandre Chartrand.

Si le Québec et la Catalogne partagent le fait d'être des sociétés distinctes, avec leurs indéniables différences culturelles - dont la langue - , le cinéaste estime que l'indépendantisme catalan est plus inclusif que celui incarné à ses yeux par le Parti québécois.

« Le projet catalan est plus transversal et ouvert à l'autre », dit-il, en s'avouant idéologiquement plus proche de Québec solidaire. « Déjà, ils veulent une république bilingue, où les deux langues officielles seraient le catalan et l'espagnol. Et puis, ils revendiquent la multiethnicité. La Catalogne est une terre d'accueil, et les gens venus d'ailleurs sont complètement intégrés. »

« Le mouvement dépasse de loin les Catalans "de souche". »

S'il souhaite avant tout capter un moment historique vécu dans une région du Nord-Est espagnol, le réalisateur ne serait pas mécontent, en ce sens, que son film inspire les indépendantistes d'outre-Atlantique. « Je veux montrer qu'un nationalisme ouvert est possible. Que ce ne sont pas juste des revendications de chemises à carreaux. »

Mais ce ne sont pas tous les indépendantistes québécois qui se reconnaissent dans l'enthousiasme des Catalans. 

« Un référendum, tu dis ? », nous a lancé Sylvain, rencontré à l'aéroport au retour d'une croisière dans la Méditerranée avec sa femme. « Ben tant mieux pour eux. Chez nous, c'est pas près de revenir. Sais-tu pourquoi ? Parce qu'on est trop chicken... »