Objet d'innombrables reportages, films, émissions de télé, livres, la ville de New York peut-elle encore livrer des secrets? Comme celui d'une famille de sept enfants, dont six garçons, vivant pratiquement enfermés à l'année dans un appartement subventionné du Lower East Side.

C'est l'histoire abracadabrante que nous raconte la documentariste Crystal Moselle dans The Wolfpack.

Pendant de nombreuses années, Oscar Angulo a confiné femme et enfants à l'intérieur afin de les protéger des dangers du monde extérieur. Un survivaliste nouveau genre, en somme. Comment les enfants n'ont-ils pas sombré dans la folie? En visionnant en boucle des films populaires et en les recréant. Ils ont recopié les répliques à la main, ont fabriqué des costumes, ont joué et rejoué les scènes. Bref, ils ont fait leur cinéma.

Un jour, un des fils, Mukunda, en a eu marre. Profitant d'une distraction du père, il est sorti. Pour découvrir que le monde n'était pas si terrible, finalement. Plus tard, lorsque les six frères ont commencé à sortir ensemble dans la rue (leur soeur Visnu a un grave handicap), habillés comme les personnages du film Reservoir Dogs, ils ont vite été repérés par Crystal Moselle.

« Crystal a été très correcte. Avec elle, nous avons rapidement senti une communauté d'esprit, dit Mukunda Angulo en entrevue téléphonique depuis Los Angeles. Avant de faire le documentaire, elle a commencé à nous filmer librement, sans idée préconçue. Le projet de documentaire est venu plus tard. »

Le fait que les frères Angulo raffolaient de cinéma a sans doute accéléré cet apprivoisement entre les deux parties. « Autrement, Crystal aurait mis sans doute plus de temps à nous approcher, dit Mukunda. Mais elle a toujours pris son temps. Pour son projet de film, elle voulait que nous soyons à l'aise. »

On le serait à moins. Lors de leurs premières excursions dans le « vrai monde », les six frères ont eu tout à apprendre, ne sachant même pas ce qu'était le mot « Google »...

Lancé en janvier dernier au prestigieux festival de Sundance, le film y a décroché le grand prix de la catégorie des documentaires américains. Les frères Angulo y étaient pour assister à la première. « Je n'étais pas inquiet de la réaction des gens, dit Mukunda. Je savais qu'ils aimeraient le film et, en effet, ce fut une grande expérience, très émotive. La réaction du public m'a touché droit au coeur. »

Fort ensemble

Ce que The Wolfpack fait ressortir est que les frères Angulo ont, ensemble, développé une grande force de caractère. Enfermés dans leur noyau familial, ils se sont serré les coudes. Ils ont su se construire une vie sans se détruire.

Pourront-ils continuer à bien tenir sur leurs jambes maintenant qu'ils ne vivent plus confinés dans un 4 et demi et qu'ils peuvent, en somme, vivre chacun ce que bon leur semble? Mukunda répond par l'affirmative.

« Nous possédons tous des forces individuelles, différentes les uns des autres, dit-il. Nous exerçons tous une forme de leadership dans nos vies. »

Ils sont encore bien jeunes, étant maintenant âgés de 16 à 23 ans. Mais chacun développe ses intérêts: cinéma, danse, musique. 

« Nous ne sommes pas tous intéressés à faire des films, dit Mukunda, qui veut devenir scénariste et réalisateur. Mes deux plus jeunes frères veulent faire de la musique. Un autre est très activiste. »

Depuis la fin de leur exil intérieur, les frères Angulo vont au cinéma. Mukunda en parle avec émotion. « Nous avions toujours vu les films sur de petits écrans et maintenant, nous avons cette chance d'aller voir des films en salle, assis avec d'autres personnes, ce qui est extraordinaire, dit ce grand amateur des films de David Lynch, Martin Scorsese, James Cameron et plusieurs autres. En allant voir des films en salle, mon intérêt pour le cinéma s'est développé encore davantage. »

Décidément, Mukunda Angulo ne regarde pas en arrière...

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The Wolfpack prend l'affiche au Cinéma du Parc le 26 juin.