Plombée de nombreux maux, l'agriculture a mauvaise presse au Québec. Et pourtant, chaque jour, dès potron-minet, des milliers de personnes sont au travail dans les campagnes pour remplir le grenier de la province. Et une relève attend ces agriculteurs.

La relève, oui, elle est bien là, elle existe et elle s'enthousiasme pour la tâche, nous font voir Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier dans leur long métrage documentaire Le plancher des vaches.

Ces derniers nous font découvrir cette jeunesse qui se consacre aux travaux agricoles à travers le quotidien de Pascale, Raphaël et Céleste, trois jeunes de 15 et 16 ans inscrits à la Maison familiale rurale du Granit. Cette école secondaire bien spéciale forme la relève agricole avec, en alternance, cours théoriques et formation avec des parrains à la ferme. Un genre de programme «terre-étude», en somme.

«Les adolescents de cette école aiment ce métier et ils ont envie de le reprendre, dit la cinéaste et auteure Anaïs Barbeau-Lavalette. Ils sont conscients que ce n'est pas un métier de tout repos, mais c'est celui qu'ils choisissent avec coeur.»

Le comédien, cinéaste et auteur-compositeur-interprète Émile Proulx-Cloutier ajoute qu'on connaît par coeur le discours négatif accolé au monde agricole québécois et qu'il faut passer à autre chose. «Il était plus pertinent pour nous d'aborder cet angle que de faire un énième portrait sur ce qui va mal dans l'agriculture, dit-il. Nous voulions voir ce qui arrive lorsque des jeunes se lèvent debout et vont au travail. Nous avions envie de filmer la constance du geste, la nécessité d'apprendre.»

On aura compris que leur film aborde le sujet dans un angle - volontairement - positif. Mais il n'est pas complaisant pour autant. On a ici affaire à des ados qui ont parfois la tête dure, qui sont fragiles ou sensibles aux appels de l'abandon. Et en parallèle à leur formation, le film s'attarde aux relations avec le père, figure emblématique dans le monde rural. Or, dans deux des trois cas, cette relation n'est pas exactement un jardin de roses.

N'empêche. Au bout du compte, le message demeure. «On a plus rencontré la fierté que la détresse», dit Anaïs Barbeau-Lavalette.

Compagnonnage

Trois jeunes, donc. Chacun sa personnalité. Chacun sa spécialité.

Céleste, arrivée de la ville après la mort de son père, part de zéro. Direction: l'étable. Elle aime les vaches et la traite. Raphaël, lui, apprend à cultiver une terre à bois, tout en essayant de reconnecter avec son père, un bûcheron avec qui il a toujours eu une relation en pointillé. Enfin, Pascale, sur laquelle son père aimant pose un regard rempli de fierté, ne sait plus à un moment si elle aime ou non la participation à des concours de beauté de vaches.

Le film s'attarde beaucoup aux relations qu'établissent les trois ados avec les parrains qui les accueillent et qui ne se font pas prier pour partager leur savoir.

«Il y a quelque chose de très actuel dans le film qui, à mon avis, peut rejoindre tout le monde, et c'est la transmission, dit Anaïs Barbeau-Lavalette. Nous suivons ici trois paires de compagnonnages; trois jeunes qui apprennent en regardant faire [leurs aînés]. C'est quelque chose en voie de disparition et qu'on met trop peu de l'avant, alors que c'est un modèle très inspirant pour apprendre la vie. Ça devrait être plus répandu.»

À deux

Artistes, gens engagés, parents de trois jeunes enfants, Anaïs et Émile, pour ceux qui ne le savent pas encore, sont un couple dans la vie. Ils ont chacun leurs projets en solo, mais en concrétisent d'autres ensemble. En 2009, ils avaient écrit et réalisé Les petits géants, documentaire sur l'enfance.

Pourquoi ce retour au documentaire à deux avec Le plancher des vaches? «On se complète, répond Anaïs. Il y a quelque chose de réellement agréable à travailler ensemble. Le film y gagne. Émile a une attention sensible et précise au récit, à l'art de raconter. Ma force est dans le lien avec les gens, la confiance qu'ils vont m'accorder dès la première rencontre. Je suis plus dans le fil émotif alors qu'Émile est davantage dans le fil narratif.»

Quant au sujet exploré ici, il est clair que l'un comme l'autre avait envie de sortir de son cadre connu (lire: urbain) et d'aller voir ailleurs. «Nous voulions voir un autre Québec», conclut Émile.

Ce désir de sortir des ornières permet ainsi au spectateur d'avoir, en matière de monde rural, une certaine idée de la transmission. C'est bien ainsi.

Le plancher des vaches prend l'affiche le 8 mai.