Elle est née avec un esprit de garçon dans un corps de fille. Elle a grandi au milieu des Prairies sous l'emprise d'un père tyrannique religieux et dans un climat d'intimidation à l'école. Elle se croyait damnée, mais Rae Spoon est plutôt devenue un auteur-compositeur-interprète transgenre respecté et établi aujourd'hui à Montréal.

Rae Spoon est le personnage central de Mes Prairies, mes amours, documentaire musical réalisé par Chelsea McMullan et produit par l'ONF qui sera présenté au prestigieux festival de films de Sundance. À la suite de sa première aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), le film prendra l'affiche à l'Excentris, le 13 décembre.

Chelsea McMullan avait confié la musique de son précédent film à Rae Spoon (qui demande qu'on le désigne avec le mot «they», en anglais, car il ne se considère ni homme ni femme). Après un café sont nées une amitié et de grandes confidences. Mais c'est dans la genèse de Mes Prairies, mes amours que la réalisatrice vancouvéroise a véritablement découvert le passé familial trouble de l'artiste. «Je savais que ce serait un documentaire musical, car c'est plus facile pour Rae de parler à travers sa musique. Mais en écoutant les chansons, j'ai vu à quel point c'était sombre», explique Chelsea McMullan.

Jusqu'à 16 ans, Rae Spoon a grandi dans une famille pentecôtiste. Obsédés par la fin du monde, ses parents rejetaient ses nombreuses questions portant sur l'astronomie et la nature humaine. Rae appréhendait que Dieu la punisse pour son orientation sexuelle. À 16 ans, elle a déménagé chez sa grand-mère à Calgary et a finalement compris toute «l'hypocrisie» de son père agressif, mais rempli de vertus.

Avec sa caméra, Chelsea McMullan a suivi le musicien transgenre en tournée dans les Prairies. Rae Spoon a traversé 15 fois le Canada en autobus. Pour lui, c'est aussi méditatif «qu'une retraite de yoga, car il faut combattre l'impatience».

Pendant le tournage, Rae écrivait le livre First Spring Grass Fire (publié l'an dernier), donc il était déjà plongé dans une démarche d'exutoire. «Mais je ne savais pas que j'irais aussi loin dans les confidences», dit le principal intéressé.

Le film revisite les lieux marquants de son passé à travers les paysages tranquilles des Prairies jusqu'au glacier Athabasca dans les Rocheuses.

Rae raconte la mort de son frère pendant un voyage familial à Calgary pour les Jeux olympiques de 1988. Les nombreuses statues de dinosaures ont longtemps fasciné la jeune fille élevée par des parents qui rejettent la théorie de l'évolution.

On revisite également l'ancienne école de Rae, où il a été victime d'intimidation, et on fait la rencontre de sa première amoureuse. L'histoire de Rae Spoon rappelle celle du film Boys Don't Cry, sans le meurtre de son personnage principal (auquel Rae fait par ailleurs référence dans le film).

Des prestations musicales de Rae ponctuent Mes Prairies, mes amours. Autant les spectacles de sa tournée que des sortes de clips mis en scène pour le film.

Le documentaire musical a des fins éducatives - voire politiques - sur le transsexualisme et l'intimidation des êtres «différents». «Ce n'est pas un film de niche. Le sujet est universel. Tout le monde s'est déjà senti à part et beaucoup de gens ont une relation trouble avec leurs racines familiales», conclut Rae Spoon.