C'est une première pour Jake Gyllenhaal: tourner deux fois d'affilée avec un même réalisateur. La star de Donnie Darko, de Brokeback Mountain, de Zodiac et, maintenant, d'Enemy et de Prisoners de Denis Villeneuve, partage cette expérience avec La Presse.

Jake Gyllenhaal tournait Enemy, à Toronto, avec Denis Villeneuve, quand ce dernier a reçu le scénario de Prisoners avec une offre, celle d'en prendre les commandes. Le réalisateur québécois s'est immédiatement tourné vers celui qu'il avait devant la caméra et lui a proposé le rôle du détective dans ce thriller psychologique. Proposition que l'acteur a accepté sans hésiter.

«Sur le plan créatif, j'opterai toujours pour les gens plus que pour n'importe quoi d'autre. Notre collaboration, entre Denis et moi, sur Enemy - que je n'appellerais pas un film ni même un film expérimental, mais une expérience de film - a été extraordinaire, autant émotivement qu'intellectuellement. Nous avons terminé ce tournage, nous étions frères», a indiqué l'acteur lors d'une entrevue accordée à La Presse pendant le Festival international du film de Toronto.

En fait, la complicité entre les deux hommes ne fait aucun doute. Les représentants des médias qui ont assisté aux conférences de presse accompagnant la présentation du film au TIFF peuvent en témoigner.

Arc dramatique

Bref, dans cette deuxième incursion dans la filmographie de Denis Villeneuve, Jake Gyllenhaal incarne l'homme chargé d'enquêter sur une affaire d'enlèvement.

Prisoners s'ouvre en effet par une journée grise d'Action de grâce, dans une banlieue de Pennsylvanie. Deux fillettes de 6 et 7 ans disparaissent. Pendant une semaine, le film suit l'enquête du détective Loki; l'enfer que traversent les parents d'Anna (incarnés par Hugh Jackman et Maria Bello) et de Joy (joués par Terrence Howard et Viola Davis); de même que les répercussions du drame sur le principal suspect dans l'affaire (Paul Dano) et sa tante (Melissa Leo).

«J'aimais les idées que Denis apportait au sujet de mon personnage et il aimait celles que j'amenais», poursuit l'acteur qui a déjà joué les enquêteurs et sait combien il est facile de tomber là dans les clichés.

«Je ne voulais pas avoir l'air d'être paresseux, je désirais apporter quelque chose de neuf, servir à autre chose qu'à porter la ligne narrative du récit.» Se trouver un arc dramatique à lui, un arc qui accompagne ou peut-être coupe celui que suivent les deux familles des disparues. D'où le flou qui accompagne l'entrée en jeu de Loki, dont les vêtements laissent apercevoir des tatouages, dont le visage se crispe parfois de tics.

Surcharge

Qui est-il vraiment? Est-il au service de la justice ou est-il responsable du drame? Une ambiguïté qui est le fruit de bien des échanges d'idées entre le réalisateur et l'acteur. Ensemble, ils ont créé une histoire, un passé au personnage. Ensemble, ils ont pesé chaque élément afin de ne pas tomber dans le gratuit.

Par exemple, le clignement des yeux répété de Loki. «Pour moi, ce type possède un haut niveau d'intelligence, il est ce gars qui a résolu toutes les enquêtes sur lesquelles il a travaillé, il analyse l'information en même temps qu'il la recueille. Et par moments, ça provoque comme une surcharge dans sa tête. Son inhabilité à exprimer tout ce qu'il observe et évalue simultanément sort ainsi, dans ce tic.»

À son sens, le personnage est également troublé par le fait qu'il voit un coupable potentiel en tout un chacun. Peut-être même en lui, tellement «quand vous enquêtez de la manière dont il enquête, quand vous explorez aussi souvent et aussi profondément la conscience des criminels, cette conscience finit par vous fasciner et vous obnubiler. Et, de manière bizarre, leur esprit et le vôtre finissent par ne faire qu'un», explique Jake Gyllenhaal.

Pervers

Plongée en eaux troubles, donc. Et là se trouve l'une des autres raisons qui l'ont incité à accepter l'aventure, «cette idée de passer un moment dans ces zones d'ombre, d'expérimenter ces émotions tordues». «Je considère que l'art que je pratique est thérapeutique et je ne l'exerce pas que pour être heureux. J'étais conscient du genre de parcours que je ferais ici, je savais que j'allais devoir explorer ces parties plus sombres de moi-même, quelque chose de pervers même, et c'était excitant pour ces raisons-là», explique-t-il... avec un sourire.

Avant d'ajouter que sa performance doit aussi beaucoup aux directives de Denis Villeneuve et à la direction photo du légendaire Roger Deakins. Qui ont appliqué une couche de noirceur au travail de toute la distribution et ont ajouté une dose de sentiment d'oppression à l'ensemble du film.

Sa propre prison

Quant à la «prison» de Loki - tous les personnages de Prisoners sont en effet «prisonniers» de quelque chose -, elle provient du fait que l'homme est entravé par les règles de l'institution qu'il représente. «Il y a des règles à suivre, ce qui l'aide à faire son travail, mais aussi l'empêche d'exprimer ou de faire certaines choses», conclut celui qui, lorsqu'on l'interroge sur sa prison à lui, la vraie, évoque sa propension à trop intellectualiser, à être trop critique et son besoin de mettre de l'ordre là où il n'y en a pas.

«Mais au moins, j'en suis conscient, pouffe-t-il. Ce qui, d'une certaine manière, relâche un peu les chaînes.» Et entrouvre la porte vers la liberté.

> Prisoners (Prisonniers) prend l'affiche le 20 septembre.

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Prisonniers de leurs personnages

Entrer dans la peau d'un personnage est en quelque sorte se laisser prendre en otage par une autre personnalité. Quelques acteurs de Prisoners ont raconté comment ils s'étaient préparés à leur passage devant la caméra de Denis Villeneuve.

> Hugh Jackman (Keller Dover)

Keller Dover est un «survivaliste». Nourriture, eau, équipement pour prodiguer les premiers soins s'empilent dans son sous-sol. Il est prêt au pire. Croit-il. Jusqu'à ce que sa fille disparaisse. Pour se préparer à «vivre» ce drame à l'écran, Hugh Jackman a étudié le manque de sommeil et ses répercussions sur le comportement. Il s'est ensuite enfoncé dans la spirale d'angoisse et de folie d'un père qui cherche son enfant, qui voit le principal suspect être libéré et qui décide de prendre les choses en main. «Dover sait que son enfant est quelque part et qu'elle l'attend, et qu'elle se demande pourquoi il ne vient pas. Dormir devient impensable, dormir serait la trahir», raconte l'acteur.

> Maria Bello (Grace Dover)

Les costumes sont un élément important pour Maria Bello lorsque vient le temps de créer un personnage. Mais quand est arrivé l'essayage des vêtements que Grace Dover porterait dans Prisoners, elle a eu un blocage. «Je me suis rendu compte que, pour cette femme, le temps s'est arrêté au moment où sa fille a disparu.» Il devenait impensable pour l'actrice que Grace se change. «Ça ne me semblait pas juste», note l'actrice qui porte donc la même tenue pendant presque tout le film. «Vous voyez aussi que mes cheveux deviennent de plus en plus gras et que, grâce aux maquilleurs, j'ai l'air de plus en plus fatiguée», poursuit-elle avant de lancer en riant: «C'est à peine si je me douchais pendant le tournage.»

> Paul Dano (Alex Jones)

Paul Dano a «attrapé» Alex Jones, principal suspect de l'enlèvement des petites Anna et Joy, «par la voix»: «Selon moi, c'est quelqu'un dont le développement a été stoppé à un certain âge. Pour lui, tout s'est arrêté là.» Son comportement, ses idées. Sa voix, laquelle a servi de porte d'entrée à l'acteur. La voix d'un garçon dans le corps d'un homme. La voix, mais aussi le regard, magnifié par la direction photo de Roger Deakins et le soin maniaque que Denis Villeneuve apporte aux moindres détails, croit Jake Gyllenhaal. «Je regardais une des scènes entre Alex et Dover, une scène presque insupportable à voir et, entre chaque coup, le regard de Paul exprime une émotion différente.» Il ne dit pas «chapeau!» à ses complices à l'écran et à la réalisation, mais c'est tout comme.

> Melissa Leo (Holly Jones)

Un caméléon. C'est le terme qui convient le mieux à Melissa Leo, méconnaissable d'un film à l'autre. Elle savait qu'Holly Jones, tante d'Alex, était plus âgée qu'elle. «Dans le scénario, elle avait les cheveux gris. Mais Denis a été clair: «Absolument pas de perruque sur mon plateau.» Heureusement, nous l'avons fait changer d'idée en arrivant avec des perruques très convaincantes», se souvient l'actrice qui a, par contre, suggéré que son personnage ait «un arrière-train plus volumineux que le [sien], ce qui [lui] permettait de lui donner une démarche plus lourde, celle de quelqu'un qui ne se déplace pas beaucoup». Et puis, il y avait les lunettes. Immenses. Sales. «J'aimais qu'il y ait des traces de doigts dessus, cette nébulosité des verres ajoutait à celle du personnage.»