Quand on arrive par voie aérienne à Zurich, une randonnée en train (plutôt trois, en fait!) nous fait ensuite découvrir trois heures durant les charmes panoramiques de l'est de la Suisse, du nord au sud. De germanique, l'Helvétie devient alors peu à peu romaine, laissant même entrevoir parfois un décor qu'on croirait venu d'outre frontière.

À Locarno hier, c'était le sud plein soleil. En parcourant les petites rues qui séparent Via della Stazione de la Piazza Grande, on sentait le soulagement des festivaliers. Dans cette chaleureuse ville suisse italienne, quasi frontalière avec le pays dont on partage la langue commune, le cinéma se pratique en effet le soir en plein air. On s'y rend par milliers - jusqu'à 8000 - pour regarder et écouter religieusement les productions projetées sur l'écran géant de la Piazza Grande. Or, les premiers jours du 66e Festival de Locarno, qui est en cours depuis mercredi, se sont pas mal déroulés sous la flotte.

Généreux et exigeant

Remarquez qu'avec 2 Guns, qui a ouvert l'événement, ceux qui ont choisi de rester chez eux plutôt que de braver la pluie n'ont guère perdu au change. Même si le Festival de Locarno a la réputation d'offrir une superbe vitrine au cinéma d'auteur, il s'en remet néanmoins parfois - comme tous les autres - aux productions américaines pour attirer l'attention des médias. 2 Guns, avec Denzel Washington et Mark Walhberg (présenté ici en première européenne), ne reflète pourtant en rien l'ensemble d'une sélection composée cette année, pour une première fois, par Carlo Chatrian. L'ancien journaliste et critique a ainsi repris le flambeau des mains du très estimé Olivier Père. Le nouveau directeur artistique affirme avoir voulu composer une programmation «généreuse et exigeante», qui «entend tracer une carte du cinéma qui saisit les courants de fond plus que ce qui agite la surface».

Sur le flanc «générosité», une rétrospective des films de George Cukor, un «auteur qui remet en question l'idée d'auteur», un hommage à Werner Herzog, des coups de chapeau à Christopher Lee, à Douglas Trumbull, sans oublier le prix spécial récompensant Jacqueline Bisset pour l'ensemble de sa carrière.

Sur le flanc «exigence», une compétition internationale composée de 20 longs métrages, parmi lesquels les plus récentes offrandes d'Emmanuel Mouret (Une autre vie), Claire Simon (Gare du Nord), Hong Sangsoo (U ri Sunhi), sans oublier Louise Archambault (Gabrielle).

Au sein de l'équipe de Gabrielle, dont la grande première mondiale a lieu ce soir, on s'apprête bien sûr à vivre un grand moment. En plus d'avoir l'honneur de concourir pour le Léopard d'or, le deuxième long métrage de la réalisatrice de Familia fait partie - privilège - des productions retenues pour une projection sur la Piazza Grande. C'est dire qu'à 21h30 ce soir, des milliers de cinéphiles découvriront ensemble cette chronique mettant en vedette une jeune femme atteinte du syndrome de Williams, qui réclame elle aussi son droit à une vie amoureuse.

Rappelons que les producteurs Kim McCraw et Luc Déry, de la société micro_scope, estiment que le Festival de Locarno constitue une rampe de lancement idéale pour Gabrielle. On vous en reparle demain.

Une gare, des vies

Dans Gare du Nord, l'auteure cinéaste Claire Simon (Les bureaux de Dieu) utilise son talent de documentariste pour orchestrer un récit de fiction intrigant, vers lequel convergent différents personnages. Point de rencontre: la Gare du Nord à Paris. De fait, la caméra ne sortira jamais de ces lieux. Des histoires commencent, se laissent deviner, et finissent par dessiner un portrait social éloquent, aussi très humain. Nicole Garcia, qu'il fait bon revoir en tant que comédienne, incarne ici le personnage central du film, une femme touchée par un regard qu'elle n'attendait pas, que pose sur elle un plus jeune homme. Belle idée, belle approche. Mais le récit s'étire inutilement. Le film gagnerait à être resserré sur le plan du montage. Monia Chokri, qui, dans cette coproduction franco-québécoise, joue pour une première fois le rôle d'une Française au cinéma, affiche de son côté une grande polyvalence. Rencontrée hier, l'actrice disait avoir apprécié son expérience, même si le tournage fut exigeant. «Pendant sept semaines, nous étions en permanence à la Gare du Nord, dit-elle. C'est un lieu où l'on ne fait que passer habituellement. Cela dit, l'occasion de pouvoir donner la réplique à une grande actrice comme Nicole Garcia n'arrive pas tous les jours!»

Rappelons que Monia Chokri est aussi à Locarno à titre de réalisatrice. Son court métrage Quelqu'un d'extraordinaire (de 28 minutes quand même!) sera présenté demain dans la compétition officielle des courts métrages.

«Ce film-là a maintenant une vie qui ne dépend plus de moi», lance-t-elle alors que des sélections dans différents festivals sont maintenant annoncées. Quelqu'un d'extraordinaire sera notamment présenté à Toronto, ainsi qu'au Festival du film francophone de Namur. D'autres s'ajouteront sans doute.