Avant d'être pilote, recordman et héros, Johnny May est un homme, un homme de valeur qui pose sur son monde un regard serein. Inquiet, certes, mais pas dénué d'espoir. «Qui va harponner le phoque?», l'entend-on demander à ses petits-fils à qui il veut passer le savoir-faire de ses ancêtres venus de la Sibérie il y a plus de 1000 ans. Bien avant Colomb et Cartier...

Fils de Blanc qui, à ce titre, n'a pas eu la même éducation que ses proches, Johnny May, au-delà de ses taches de rousseur, n'est pas non plus l'Inuk moyen: les pères de ses amis n'avaient pas d'avion ni de pourvoirie où amener les riches Américains.

Sans avancer qu'il a joui du meilleur de deux mondes, Les ailes de Johnny May nous fait découvrir un homme qui connaît ces deux mondes - sa femme Louisa a étudié à McGill - et peut parler de leur poids respectif dans la culture des Inuit, un peuple qui, le film l'énonce clairement, «a perdu ses repères».

Louisa s'avère aussi une interlocutrice crédible, elle qui a passé 30 ans à la tête d'un centre d'aide à la jeunesse à Kuujjuak, la capitale du Nunavik. Louisa Berthe-May a aussi connu le pensionnat et ce qu'elle en raconte à l'écran vous visse à votre fauteuil...

Si les étapes de la carrière de pilote de Johnny May n'apparaissent pas toujours clairement - qui donc l'obligeait à voler jusqu'à l'effondrement physique avant la limitation des heures de vol? -, le documentaire évoque des faits historiques que les gens du Sud, déjà pas forts en «histoire du Canada», ont toujours ignorés. Comme le massacre des chiens de traîneau ordonné par les autorités fédérales, sous prétexte qu'ils constituaient un danger sanitaire et sécuritaire et que, de toute façon, ils avaient été rendus inutiles par l'arrivée de la motoneige. Mais dans le blizzard, dira Johnny en souriant, le Ski-Doo n'a jamais retrouvé seul le chemin du village...

La technologie 3D - le Beaubien fournira les lunettes spéciales - procure quelques beaux effets qui n'enlèvent rien au propos du documentaire. Quant aux animations réalisées à l'ONF, très sobres, elles permettent d'évoquer des faits du passé sans recourir à la reconstitution ou aux interventions à l'écran. La narration de James Hyndman, finalement (ce sera Lambert Wilson en France), est juste à tous les points de vue, n'empiétant jamais sur le sujet.

Pour sa qualité anthropologique et sociale autant que cinématographique, Les ailes de Johnny May est un document à voir, assaut puissant contre l'ignorance que l'on a de nos voisins les Inuit, «les humains».